Dimanche, 2 novembre 1873
# Dimanche, 2 novembre 1873
Nous arrivons à la moitié de la messe; moi, Dina et Paul (robe bleue, très bien) que les Skariatine sont laides et mal mises ! Il y a déjà beaucoup de Russes, le tapis est mis et il y a le chœur.
Il pleut. Je ne puis m'habituer encore à Hitchcock. C'est si ennuyeux d'avoir a beast to home.
Elle va à l'église anglaise. Nous sortons, moi, Bête et Paul; nous allons au London House, et faisons un déjeuner de fous. Qu'on s'imagine seulement dans la confiserie du London House trois petites tables rondes de différentes hauteurs réunies, sur lesquelles on voit à la fois servis du chocolat, du saumon fumé, des glaces, des gâteaux, des sandwichs, des fraises, du foie gras et du raisin, sans couverts; parce qu'on a demandé en désordre et l'un après l'autre. Si un Français nous voyait mêler le raisin au chocolat et les glaces au jambon il mourrait d'indigestion seulement en nous regardant.
Mais nous, bienheureuses créatures (j'ai changé de robe et de chapeau: waterproof et chapeau noir, bien) ne faisons pas attention à ces bêtises et ne salissons pas nos langues en parlant d'estomac et de digestion.
J'emporte du raisin avec nous en voiture et je vais avec Paul voir des fusils. Une foule s'est rassemblée devant le magasin lorsque nous examinions les guns. Nous allâmes ensuite chercher Walitsky, il est meilleur juge. Nous avons bouleversé toute la boutique et partîmes en proposant cent quatre-vingts francs pour un gun dont on demandait deux cents francs.
Je suis à côté de Hitchcock à dîner, c'est très, très ennuyeux d'avoir une stupide nouvelle à côté de soi. Tu t'y feras, tu t'y feras ! Allons, il paraît que je m'y ferai. J'ai parlé un peu plus avec elle après dîner, je lui montrai ma school-room, mes cahiers. Elle était assise sur le fauteuil et moi par terre, nous happened to speak of the colour of the hair, elle déteste les cheveux rouges, et me dit:
- I don't advise you to marry an Englishman with red hair; it is a proof of bad temper, he will beat you, a red-haired man.
- Why, I always thought that red hair was a sign of good temper.
Eh bien, on me dit que les roux sont méchants, j'ai moi-même vu dans la figure du duc de Hamilton qu'il est capricieux et bad tempered, mais je ne l'aime pas moins pour cela. Au contraire, cette expression néronique me plaît, plus il aura de défauts plus il me plaira. Je ne suis pas comme tout le monde, j'aime ce qu'on n'aime pas et je n'aime pas ce qu'on admire. Pour tout il en est ainsi, on admire I Promessi sposi, je les trouve bêtes, on aime la langue italienne, je la déteste, on admire les Italiens, les yeux et les cheveux noirs, je ne peux pas les supporter. On n'aime pas les roux, je les aime, on trouve ridicule de s'habiller comme Hamilton et Merck, je le trouve sublime. Tout le monde déteste les hommes ivres, je ne les déteste pas du tout.
Quand Georges se grise, Dina, maman, ma tante, toutes deviennent fâchées et inquiètes et irritent Georges, lui font faire des folies, l'agacent et le rendent furieux. Moi, tout le contraire, je le considère comme un malade avec lequel on doit être d'accord, s'il veut briser les fenêtres, brise-les mon cher, veux-tu que je t'aide ? S'il veut boire: buvons ensemble, que c'est bon d'être gris. Par cela on le calme et tout est tranquille et heureux. Tandis que Dina lui retire le vin, le regarde avec des yeux mécontents, ne lui parle pas et gronde. Naturellement ça l'irrite. Je suis très extraordinaire si j'aimais un homme pauvre et s'il m'aimait aussi, je le détesterais, car je suis habituée au luxe et pauvre je serais malheureuse comme celui qui serait avec moi. De plus je sens une aversion envers la pauvreté comme aimer un pauvre autrement non sans doute.
Supposons que Hamilton ne soit pas marié, que je l'aime et que j'apprends qu'il est simplement M. Hamilton avec cinq cents livres de rentes. Je pleurerais cela comme sa mort et je le haïrais, je ne pourrais pas cesser de l'aimer et devenir indifférente, mais je ne pourrais plus supporter sa présence, même son nom, je le détesterais avec furie, avec acharnement. Il me paraîtrait misérable, pitoyable contemptible, repoussant, affreux.
Ça ne veut pas dire que je n'aime que la fortune car encore, si Barnola était duc de Hamilton je ne pourrais jamais l'aimer.
Jamais un homme au-dessous de ma position ne pourra me plaire, tous les communs me dégoûtent, m'énervent.
Un homme pauvre perd la moitié de soi-même, il semble petit, misérable, il a l'air d'un professeur.
La conscience de sa pauvreté et² de devoir être économe et prudent (horreur !) lui donne une expression timide, pitoyable. Tandis qu'un homme qui est riche, indépendant, porte avec lui l'orgueil, un certain air aisé, confortable et assuré. L'assurance et un certain air victorieux sont sinon tout, du moins beaucoup. Et j'aime en Hamilton cet air sûr, majestueux, défiant, capricieux, fat et cruel. Il a du Néron.
² Cependant on ne doit pas se ruiner étant riche car on serait réduit à économiser
Pendant que j'écris, chez maman on parle des Russes, j'ai expressed my contempt for Poltava her inhabitants, society, and my dislike for Russians in general. J'ai très comiquement raconté la société de Poltava avec des épithètes animales et drôles, (à travers la porte). J'ai dit qu'ils ne sont pas des chiens (j'ai l'habitude de dire à chaque instant chiens c'est mon expression) et des cochons qui sont de nobles animaux (parce que je consacre le cochon et la vache au dieu Hamilton) mais qu'ils sont des punaises (je n'ose pas dire le mot en français).