Jeudi, 30 octobre 1873
# Jeudi, 30 octobre 1873
A déjeuner papa s'est encore permis des impertinences affreuses, et je vais droit à maman et lui dit suffoquée et étouffée de rage que je ne puis, je ne veux plus le supporter !
Naturellement tout l'aréopage tout le pack of hounds accourt et commence des histoires, je me défendrai de toutes mes forces et je me suis un peu laissée entraîner. Que Dieu me pardonne; mais on m'a tellement outragée ! J'étais dans une telle furie.
Il ne faut me laisser aller, il faut sortir lorsque les ânes braient. Mais alors il faudrait m'en aller toujours et ne paraître jamais ! Oh ! mon Dieu dites-moi ce que je dois faire et préservez-moi contre ces attaques détestables de ce vieillard, car il m'outrage et me met hors de moi.
Je n'en reviens pas toute la journée et je n'en reviendrai pas pour longtemps.
Je sors avec Bête mais il n'y a pas un pigeon à la promenade et dans les rues. C'est détestable lorsqu'il n'y a personne. Nous mangeons des glaces au London House, j'ai parlé sans m'arrêter tout le temps, et toujours de l'Orphée, Belle Hélène, grande-duchesse et château à G T Toto. J'ai fini par dire des bêtises et répéter les mêmes mots deux, trois fois.
J'ai coiffé Paul sans raie, les cheveux à la Glaucos comme j'appelle cette coiffure, car il me semble que Glaucos avait les cheveux ainsi. Paul revient et me dit que Walitsky dit que je l'ai coiffé à la Hamilton comme Hamilton est toujours pas coiffé.
J'ai voulu le coiffer comme le duc mais je ne me souviens pas qu'il avait ses cheveux séparés.
[En travers: Je ne l'avais jamais vu sans chapeau.]
Plusieurs fois dans la journée lorsque je me plaignais (toute la journée) de papa, Walitsky appelait le sourire sur mes lèvres en parlant de Hamilton. Bien qu'il soit mort pour moi je l'aime et je pense à lui. Même lorsqu'on meurt on ne peut oublier le mort, et Hamilton vit, il est marié, il est heureux, content puis-je donc l'oublier. Tout mon avenir était en lui, je suis encore dans les nuages, tout est devenu incertain, je n'ai pas de prière à Dieu. La moitié du duc sur la photographie du tir est dans mon buvard et je l'examine tous les soirs et je suis presque certaine que c'est bien lui... je l'ai regardé à l'instant et je suis sûre que c'est lui.
[Annotation: 1875. C'est vrai tout est incertain je flotte et me chagrine jusqu'à présent.]
Comme Dieu est bon: jamais je n'aurais pensé au bonheur d'avoir son portrait et voilà que tout d'un coup sans que je le demandasse, ni fasse aucune démarche pour l'obtenir Il me le donne.
A l'instant je l'ai vu, comme le jour des courses et mon cœur tressaille et bat en ce moment. Que je suis bête. Que je suis malheureuse.
[Annotation: 1875. J'y pense maintenant.]
Non seulement je l'aime mais il me plaît énormément. Il est charmant, parfait. Jamais au monde personne ne me plaira comme lui. J'aimerai sans doute, mais personne ne me plaira comme lui. Ses manières, sa démarche, sa taille, son teint, son regard, l'expression de sa face, ce je ne sais quoi qui me rend folle qu'il a dans sa figure près du nez, des yeux et de la bouche. Sa manière de s'habiller, de rester en voiture, de regarder aux courses et aux tirs.
Tout en un mot, j'adore tout en lui. Il est parfait, et je le dis de sang-froid, car je suis calme et rien ne m'excite.
Je ne sais pas pourquoi il me semble qu'il devait être à moi, et quand maman parlait de lui, j'étais au septième ciel.