Bashkirtseff

Jeudi, 23 octobre 1873

OrigCZ

# Jeudi, 23 octobre 1873

J'ai pris "Le Derby" hier soir, que je n'ai pas encore lu. Entre les déclarations de forfaits et des engagements je lis: "On lit dans les journaux anglais que les fiançailles du duc de Hamilton avec lady Mary-Louise-Elisabeth Montagu étaient célébrées à la cour de Bade le 9 courant".

J'eus froid d'abord et chaud ensuite. Quelle horreur. Je ne pensais pas que cela durera si longtemps.

Ce mariage a fait une si grande sensation que même "Le Derby" en parle entre ses engagements de chevaux. Mais n'est-ce pas un engagement ? - d'âne.

Je vais monter à cheval, il y a si longtemps que j'ai monté.

Je sortis au jardin où étaient papa, Bête, Dina. Je voulais tirer et je cherchais Paul.

Mme Friedlander vient voir maman qui n'est pas à la maison. Elle est très gentille cette vieille dame. Si aimable et douce. Elle me prit le bras et nous avons fait un pezzo di cammino insieme.

Les chevaux d'aujourd'hui sont à Caubet. J'ai le petit noir de l'année dernière. Il y a dix jours qu'ils n'ont sorti et ils sont très gais. Il y a la musique aujourd'hui. Nous allons à la promenade, ça sent l'hiver déjà. Les chevaux sont charmants, ils jouent, ils sautent, ils caracolent, surtout le mien.

J'ai galopé pour apaiser mon coursier. Maman, Bête, Dina et papa nous suivent en voiture.

J'ai vu Wittgenstein seul, il est mieux seul; on voit que cette petite vilaine le domine et il a l'air écrasé auprès d'elle, il n'ose regarder ni à droite ni à gauche. J'ai parlé russe à Paul quand Wittgenstein passait.

Nous l'avons encore rencontré une fois, quand nous avons tourné. Je ne l'ai pas regardé, depuis quelque temps je ne regarde personne en face, c'est trop bête.

Je ne sais pourquoi mais tout le monde chez nous a des faces de pendus.

A ma leçon d'italien Walitsky entrouve la porte avec furie et dit que Mme Markevitch vient, elle télégraphie : "Quel bonheur, dans deux jours quitte Pau. Quel bonheur d'être avec vous tous.

Barbe Markevitch"

Nous avons parlé aux Galignani-Howard.

On va au Français. Pourvu que le duc de Hamilton se marie plus vite ! Je suis suspendue, et c'est pire que de tomber au diable.

Vraiment je ne pensais pas il y a un an que je le regretterais sérieusement, mais je le regrette très sérieusement, plus sérieusement qu'on pense. Je l'aimais, que dis-je je l'aime encore; et lorsqu'on perd celui qu'on aime ce n'est pas perdre cent francs à Monaco.

Seulement je suis plus calme. Mais, quelque chose me manque; je ne suis plus inspirée, je suis tranquille et cette tranquillité m'ennuie. Je ne puis vivre comme ça. Ah ! si je pouvais l'oublier ! oh non, non, je ne veux pas l'oublier, il ne me reste que le souvenir et si je le perds je serai bien malheureuse. Non, je veux m'en souvenir, je veux souffrir, je veux être martyrisée, je l'aime, et les souffrances pour lui valent mieux que d'être de pierre.

Hamilton tu es un âne.

Sooner or later you will repent.

Ah ! animal Rufus tu ne sais pas où est ton bonheur, et ce n'est pas ta faute puisque tu ne sais pas.

Puisse Dieu te l'inspirer.