Bashkirtseff

Jeudi, 16 octobre 1873

OrigCZ

# Jeudi, 16 octobre 1873

Il pleut horriblement. Je vais lire "L'Illiade" d'Homère. A deux heures je suis libre, j'écris un tas de nonsenses aux Howard. Le wet weather est très bon pour le teint. Je suis blanche, rosée, fraîche. Je suis jolie. Je ne désire pas être mieux parce que lorsqu'on veut trop on n'a rien. Je veux prouver que l'homme peut être satisfait de ce qu'il a.

Je m'habille (robe verte, très bien). J'ai mis mon waterproof. Le chapeau me sied à ravir. Je conduis maman, ma tante et Walitsky à la gare, où un monsieur m'a regardée avec modeste admiration. Je vais chercher papa, la princesse et Dina, la pluie avait cessé mais au moment où nous sortimes des portes de Trézène, il se mit à pleuvoir avec fureur, avec rage. Papa se mit à furier [sic], il était mouillé mais on arrangea l'affaire en fermant toutes les fenêtres.

+ Je ne dis plus un mot désagréable. Cette fois j'ai juré à Dieu et ce serment violé serait un sacrilège. Je jure de faire une chose presque impossible parce que je demande un miracle que je n'obtiendrai peut-être pas parce que j'ose demander et donner en échange ma misérable promesse. Maman en allant à la gare m'a provoquée terriblement, lorsque j'ai commencé à parler très tranquillement des formes des chapeaux, elle dit à ma tante et à Walitsky en faisant mine comme si je criais:

- Attendez.... attendez, qu'elle parle donc

tout cela d'un ton effrayé, qui m'exaspéra et me fit presque pleurer, mais je ne dis rien. Et si jamais je dis un mot grossier que je sois maudite. Je prie en même temps le Seigneur de vouloir bien me donner la raison et la sagesse et la persévérance et patience voulues pour exécuter ma promesse.

Amen. +

J'expédie mes lettres chez la belle tabatière. Il pleut avec furie. Nous allons avec la princesse au London House ayant laissé papa et Dina à la maison. En arrivant je fus surprise d'y trouver des hommes. Je ne sais qui et quoi, des Anglais peut-être. Nous passons dans l'autre salle. Toutes les fois que je suis au London House je suis gaie et nous rions avec la princesse comme des bienheureuses. La nouvelle de son mariage is evaporated. Je n'y crois plus. Un tel malheur me semble impossible. La princesse recommence ses plaisanteries et everything goes on as before. Nous avons parlé anglais, car il est entré une dame et un monsieur russes et nous voulions entendre quelques amusantes histoires. Mais ils parlaient assez bas ces brigands, ce sont deux common people.

Mais je crois qu'ils ont dit quelque chose de prohibé, parce que lorsque nous nous en allions et la princesse a parlé russe haut ils ouvrirent des grands yeux bêtes.

J'ai prêché pendant le dîner. Ensuite j'ai chanté toute la fille Angot. Je suis heureuse de pouvoir croire que ce n'est pas vrai parce que la terrible nouvelle n'était pas répétée et je préfère l'ignorance à l'affreuse vérité. Je berce mon esprit avec l'espoir que peut-être ce n'est pas vrai et je suis calmée. Nous sommes amies avec la princesse, il n'y a que la différence d'âge qui nous sépare. Nous parlons freely de tout ce que je n'oserais pas dire à d'autres à cause de ma minorité. Nous disions que mon père viendra finir ses jours chez ma mère, ruiné:

- Et vous lui baiserez la main tous les jours, dit Bête.

- Oh madame, je ne baise la main à personne, je suis trop fière.

- Vous baiserez la main à Hamilton seulement.

Elle a raison, si j'aime, celui que j'aime devient une divinité, je l'élève par mon amour jusqu'au sublime et dans ma grandeur, dans ma fierté et ma sublimité je me prosterne devant lui ! Je me suis bien gardée de le dire, je crois bien !

J'ai composé une description d'une course entre Mmes Prodgers et Vigier dans le cahier "Letters" n° 1 d'un comique charmant lorsqu'on connaît les personnages. C'est une journée brillante. J'eus une discussion comique "on good manners" avec la princesse en anglais, Dina me regardait avec envie. La princesse m'assure que si je ne crierais pas, je won't scream et je changeais mes manières je serais une perfection. Je vais essayer et faire dire à tout le monde, jusqu'au dernier chien, que je suis charmante.

Plus je suis jolie, plus je veux qu'il m'aime. Walitsky me dit hier qu'on acheta un tapis dont le dessin est: "un chevreau, Hamilton tire et un cochon derrière".

[Dans la marge: Je n'ai pas cru sans doute.]

J'ai dit à dîner:

- Quelle déception Walitsky m'a promis un tapis "te? et je ne vois que des roses.

Alors Dina improvisa assez heureusement:

Quelle métamorphose !

Le duc de Hamilton Est changé en rose.

Le fait est que j'aimerais mieux le changer en rose que le voir le mari d'une hideuse Anglaise. Autant les hommes anglais sont bien, autant les femmes sont mal. Les meilleurs hommes sont les hommes anglais.