Bashkirtseff

Mercredi, 15 octobre 1873

OrigCZ

# Mercredi, 15 octobre 1873

[Carnet N° 11 - Malheur - commencé le mercredi 15 octobre 1873, terminé le samedi 1er novembre 1873, appartenant à Mlle Marie de Bachkirzeff [sic], rue du Temple, villa Baquis, Nice]

Depuis le moment malheureux où cette péronnelle m'a dit cette horreur je continue à être essoufflée. Comme si j'ai couru une heure, tout à fait le même sentiment et même le cœur me fait mal et bat. Il pleut à torrents jusqu'à huit, neuf heures, le reste très beau, on ne pourrait se douter qu'il y eut une averse aussi violente. Elder vient, ce n'est pas avec plaisir que je la vois, cet oiseau de mauvais augure.

Je me suis munie de l'atlas et pensais à demander d'où elle sait que le duc de Hamilton is going to marry lady Manchester. Mais je n'ai pu utter a single word. Les doigts devinrent froids et raides, le cœur tapa, et je devins dix mille fois plus essoufflée. Je voulais dire le nom d'une rivière mais ma voix tremblait encore. Enfin avec un suprême effort j'ai demandé: Where have you read that the Duke of Hamilton is going to be married, we had such a long dictation last time that I had not time to ask you. Les derniers mots étaient muttered.

- In the "Morning Post" it is a newspaper where all the parties are described, the parties, the marriages of the fashionable world, the balls and all that sort of things.

Je vais m'abonner à ce journal pour lire la description de son mariage. Je suis tellement agitée qu'en écrivant la dictée ma main tremblait, on peut le voir dans les deux dernières dictées.

Je suis dévorée par je ne sais quoi. Je tousse, je souffle, je suis enrouée. Je suis hoarse. J'ai joué le piano avec furie mais au beau milieu de la fugue les doigts s'affaiblissent, quittent le piano et je m'adosse à la chaise exhausted. Je reprends, même histoire, et cinq minutes au moins je commençais et cessais. Je suis heart-broken, il se forme quelque chose dans mon gosier qui empêche la respiration. Dix fois je saute du piano au balcon. Oh ! Quel état ! Mon Dieu, quel état !! Je vais m'habiller, (robe verte, très bien, pourquoi ?). Il fait frais heureusement, le monde arrive, le nom de cet homme Oimara, boiteux qui était toujours avec Addy est Willy. Il passait à pied et nous en voiture, eh bien cet animal s'arrêta et me regarda jusqu'à ce qu'on ne pouvait plus voir. Cochon ! Il y a des Anglais et des Américains. [Croquis]

Mais Nice n'est plus Nice. Gioia n'est plus et Wittgenstein non plus.

Ce Wittgenstein avec sa villa ne me faisait rien du tout; je le voyais une fois par mois pas même, sa belle aussi. Mais je me sens chagrinée parce qu'ils partent. Je m'habitue à tout, je suis une petite bête. Mais tout ça s'attache au duc et c'est pour cela que littéralement mon cœur se déchire à la vue de ces deux maisons vides. Tout ce qui m'attachait à Nice c'était lui ! Je hais Nice, je la supporte à peine !

Je n'ai plus de but. Je sors pour sortir. Je m'ennuie, ah je m'ennuie, je m'ennuie !

Mon âme rêveuse

Ne songe qu'à lui, Je suis malheureuse L'espoir a fui.

Je ne puis me calmer et je ne le veux pas ?

Il y avait un bataclan complet à la promenade: Mme Vigier, Mlle de Comar, Richaud, Kondratieffs cousin, et encore plusieurs. Un autre bataclan, Audiffret, Saëtone, les Rodionoff et encore cinq ou six autres.

Comme j'étais heureuse l'hiver dernier ! tous les jours je sortais, je voyais Gioia, je voyais aussi quelquefois le duc. Tout allait bien, tout était calme. Mais aussi suis-je bête de penser que cela pouvait toujours durer ainsi ! Je pensais, (pauvre innocente !) que le jour viendra où Gioia sera jetée pour moi et j'attendais (pauvre folle !) patiemment ce jour. Je m'imaginais que ce doit arriver, et je demeurais sûre de moi et de lui pensant que bientôt cet intervalle cessera, que tout ce qui se passe n'est qu'un entracte et que bientôt, bientôt... je...

Je regardais la Gioia passer et malgré moi sans le vouloir, sans m'en apercevoir je me disais qu'elle finira aussi, et tout cela pour moi !

Avant je pensais que j'espérais, mais à présent je vois avec effroi que je n'espérais pas, mais que j'étais certaine de ce que je voulais, et j'attendais seulement que le moment vint. C'est pour me punir de cette assurance qu'il arrive ce qui arrive. Mon Dieu ne m'abandonnez pas ! Soutenez ma foi ! Oh Christ ! sauvez-moi du malheur !

Mon Dieu, mon Dieu rendez-moi le duc de Hamilton !

Pardonnez mes péchés, soyez miséricordieux, ne me punissez pas ! Je serais tellement heureuse ! Mais c'est fini ! fini ! Ma figure devient wild lorsque je pense que c'est fini. Oh ! mon Dieu, Vous seul pouvez ! Faites !...