Bashkirtseff

Samedi, 4 octobre 1873

OrigCZ

# Samedi, 4 octobre 1873

Je dormais encore lorsque Manotte vient, mais comme je n'aime pas me presser ni être dérangée, je prie Dina d'aller la première. J'ai commencé la sonate pathétique. J'adore Beethoven.

Paul va au lycée, tout le monde est heureux et son arrivée à la maison deux fois par jour est un événement. Je suis libre ces deux, trois jours à cause du changement d'heures. Nous sortons avec Bête, papa et Dina. Nous mangeons des glaces à La Victoire.

Je dois changer de robe, les cache-corsets sont au blanchissage, j'ai essayé d'aller sans corset et je suis si bien faite que je le puis très bien. Au moment où j'allais remonter en voiture Dina me dit que Lemp m'attend. Je croyais qu'il ne viendrait pas. Je vais prendre encore une heure pour la chimie.

Enfin j'ai fini et on vient me chercher et Bête me dit qu'à la promenade la roue du fiacre de Gioia se cassa et qu'Auguste l'arrangea et qu'elle lui donna cinq francs. Cela m'a étonnée, comment Auguste a osé abandonner le siège, mais je believed it

Demandez à Auguste, qui lui donna cinq francs, demandez, alors vous croirez, disait Bête. Alors je demande:

- Auguste, qui vous a donné cinq francs ?

Il me regarde, étonné. Bête et Dina se mirent à rire. Alors seulement je compris que c'était une bêtise. Et j'allais déjà maudire Lemp, les études et tout qui m'ont empêché de voir. Lundi on vient arranger la salle à manger. Nous avons marché depuis Lyons jusqu'au London House où j'ai acheté du saumon fumé et du jambon délicieux. Ce soir est le premier office des vêpres à l'église russe, nous allons tous excepté Bête qui reste pour son Bijou. On a arrangé très bien l'église à neuf. Il n'y avait que Zibine, Arnoldi, Keldal, une ou deux femmes, Mme Anitchkoff et nous. Je traversai l'église pour rester à côté de Mme Anitchkoff, j'ai causé tout le temps. On ne peut pas prier en public. Zibine a presque fait craquer ses yeux à force de me regarder.

Madame Anitchkoff nous entraîne chez elle, j'avais terriblement soif et j'ai bu une carafe d'eau.

En allant chez elle, maman lui disait qu'à Monaco (elle était aujourd'hui de trois à cinq) on a laissé entrer la Gioia et la Soubise. (en écrivant je me laisse tomber sur le dossier du fauteuil et je had a short nap) seule, Vous savez, continuait-elle, ces célébrités, il y a longtemps qu'on ne les laisse pas entrer. Mais je crois que Hamilton a tout à fait quitté Gioia. Elle est tellement pitoyable. Avant, elle se tenait si fièrement quand elle entrait dans la salle, seule, tellement bien avec sa fierté, elle s'asseyait près de la fenêtre ou s'approchait de la table tout était bien. Mais maintenant elle est toujours avec Soubise, il n'y a plus la fierté d'avant. Sa toilette est pitoyable, son chapeau vilain, même ses bottines sont vilaines. Son visage est flasque, blême, en un mot elle est vilaine. Sa toilette est de cachemire gris avec des manches à carreaux et un chapeau à carreaux garni d'un voile gris. Auparavant elle était belle fière (fière, c'est ce qui exprime assez bien son expression en russe) et maintenant elle est vilaine et elle se tient contractée, malheureuse et le dos voûté. Ce discours s'adressait à Mme Anitchkoff mais il était pour moi. J'ai douté tout haut, et dis que peut-être c'est la mode etc. Mais maman persiste. Je ne puis cependant croire, parce que ça me fait trop plaisir. Elle seule est digne d'envie, si elle est effacée je suis heureuse. Je vois maintenant que je l'envie et je la déteste, sentiment qui suit l'envie. Et si c'est vrai que le duc n'est plus son protecteur et qu'elle s'efface, passe de mode je suis très contente. Mais non, un tel bonheur ne peut pas arriver, je n'en suis pas digne.

Mardi, la fête de Paul. Il aura quatorze ans !!! J'espère aller à Monaco et m'exercer à tirer ainsi que Paul. Quel bonheur ! Si Dieu voulait le permettre !!!

[Dans la marge: Paul a fait connaissance du jeune Arson avec lequel il est au Français.]

Nous avons ramené Paul au lycée à deux heures. Avant je ne faisais aucune attention au lycée, mais j'ai remarqué aujourd'hui tous les garçons avec des livres, d'affreux sales gamins ! Lorsqu'on n'éprouve pas soi-même, on ne comprend pas les choses. Je m'étonnais toujours et me demandais pourquoi il y a des magasins de meubles, de lampes, de photographies. Parce que je n'avais pas besoin et je ne pouvais pas imaginer que quelqu'un en fasse usage. C'est curieux.