Vendredi 19 septembre 1873
Vendredi 19 septembre 1873
Je vais à cheval à cinq heures et nous dînons, c'est-à-dire moi et Paul, Bête aussi, à sept heures. Je vais d'abord à la promenade où il y a déjà quelques voitures. Avec le monde la vie revient, je dois vivre en société, je ne puis pas être sans voir du monde. La selle ne tient pas très bien, elle commençait même à se reculer à gauche, mais Auguste l'arrange et je continue. Tout à coup, je vois arriver Gioia avec Pitou (Soubise ressemble au feu Pitou comme une sœur). La Gioia a les cheveux pendants, petits, courts et mêlés avec des faux certainement. Toute sa face peinte en blanc, mais pas mal, belle même si l'on n'examine pas les détails. Mais comment fait-on pour l'embrasser, puisqu'elle a comme un masque ? Un jeune homme devient un vieillard à moustache blanche. Et puis avoir tous ces cheveux faux ! Bensa en a parlé: j'ai vu cette bel/eu [sic] dame avec de beaux cheveux. Mais ses cheveux sont loin d'être beaux. J'en ai de dix fois plus beaux, naturels, de couleur et de tout. Mais la selle devient inquiétante et je vais chez Mouton qui l'arrange encore une fois, et encore une fois elle recule. Enfin, aux Ponchettes, je me vois définitivement contrainte de quitter mon Pégase, je monte en landau et Paul furieux prend les rênes du cheval. Tout le temps jusqu'à Mouton il rageait et je riais de sa rage, je ne pouvais me contenir, ce qui le rendait encore plus furieux. Quant à moi, je conserve partout ma bonne humeur. Certes, je suis bien fâchée de cet accident, qui voilà déjà deux fois m'abime mon riding mais que faire ? C'est fait, c'est fait ! Il ne faut pas s'attrister par des regrets, la vie est si courte ! Il faut rire autant qu'on peut, les pleurs viennent [d'] eux-mêmes. On peut les éviter; il y a des chagrins nécessaires, qu'on ne peut fuir, c'est la mort et la séparation, et cette dernière est aimable tant qu'on espère. Mais pour se gâter la vie avec les petites misères ! Fi donc ! Je ne fais aucun cas des petites bagatelles comme je nomme les ennuis de chaque jour, je les passe en riant.
Nous trouvons à la maison. J'oublie de dire que nous passâmes trois fois Gioia. Une fois elle nous passa, nous nous mîmes à trotter, (par pour elle !) et nous la passâmes, puis enfin nous allions au pas et elle nous [Rayé: rattrapa] devança avec son fiacre. Cette fois elle n'est pas chic ! Et quelle misère avec La Soubise en fiacre. Est-ce pareil aux années d'avant, non, non.
Nous trouvons donc à la maison tout l'aréopage, en tribulation, il paraît qu'on a mal dîné et que nous n'avons pas dîné et aussi une histoire et puis je ne sais encore quoi, mais le bruit était étourdissant.
Mon bien-aimé frère se mit à conter comme mon cheval est fougueux et que je ne sais pas monter (purs mensonges !) que je lui pardonne car il était irrité. Après une heure de canonnade je vais me coucher; maman vient chez moi et je lui explique tout tranquillement. Pauvre maman elle veut que devant le monde je sois ce que je ne suis pas. Elle réprime chaque parole, chaque geste et finit par me faire crier pour me faire entendre. Lorsque je suis seule avec elle, ou en société sans elle, je suis très calme et retenue, c'est-à-dire naturelle. Je n'entends pas à chaque instant: Ne criez pas ! ou bien: Ah ! mon Dieu pauvre fille, malheureuse etc. etc. etc. etc. Cela me rend presque malade, ce sont les ennuis que j'endure le moins bien.
Maman dit que je ressemble à Hamilton, elle assure que même lorsqu'il n'y avait rien, il y a un an, à Monaco, elle a fait remarquer cela à ma tante.