Bashkirtseff

Mardi 9 septembre 1873

OrigCZ

Mardi 9 septembre 1873

Première leçon d'allemand, je n'aimais pas cette langue, depuis quelque temps seulement elle a des attraits pour moi et je l'aime, je l'étudie avec ardeur.

Après dîner, je sors avec la princesse en deux (robe grise, très bien) pour plusieurs commissions. Entre autres j'ai expédié ma lettre à Mantel. Dieu donne que cette fois j'aie du succès près du bureau de tabac Masséna. Pitou sort de la voiture et les bêtes de Nice l'entourent. Je monte vite, mais si adroitement et gracieusement que j'en suis étonnée moi-même. De là un tour à la promenade, il fait jour encore. J'avais dit, je ne me souviens plus à quel propos, j'adore, alors la Bête me dit que j'adore tout, pas tout mais beaucoup de choses, répondis-je, par exemple j'adore, j'adore je cherchais.

- Le duc, dit la Bête.

J'ai encore souri, car je l'ai pensé. En vérité j'aime monseigneur, j'ai beau penser, comparer, et à la fin de tout je ne peux trouver autre chose que je l'aime. Si avec lui l'affaire sera blown up j'épouse une riche bête qui ne demandera pas beaucoup, et je serai inconstante comme le vent.

J'ai dit que je voudrais aller à Poltava pour deux semaines jeter de la poudre aux yeux. Mais quelle personne veut séduire Gritsia. Quelle absurdité ! Et ce n'était pas en effet ma pensée, est-ce que j'irais pour une cochonnerie semblable. Eh ! ma chère c'est un superbe parti, si riche.

- Qu'est-ce que ça me fait, il est laid.

- Quel âge il a ?

- Dix-huit ans, il est trop jeune, pour courir après lui comme vous après votre Liovouchka ! Merci, et puis il n'a pas encore fait de bêtises (toutes les fois que je dois dire une chose un peu... j'emploie bêtise, c'est simple, et ça dit tout, je ne pouvais donc pas dire qu'il n'a pas encore vécu; j'ai dit, fait des bêtises, et j'étais comprise) et s'il les fera après le mariage, merci. Il vaut mieux en prendre un de trente ans qui a fait des bêtises et non un blanc-bec.

Lorsque j'ai vingt-cinq ans il doit avoir quarante ans et ainsi de suite, il faut conserver l'équilibre.

Et vraiment un garçon russe comme ce Miloradovitch, un enfant gâté, qui n'a pas fait de bêtises, ne peut me rendre heureuse.

Il ne comprendra pas qu'on peut être l'amant de sa femme. Mais sept ans après le mariage, il ira s'amuser avec des actrices et des Françaises. Et moi donc, délaissée, par qui encore, par un marmot russe ! Non c'est trop humiliant, je dis des choses invraisemblables. Mais avec un petit comme cela rien de plus facile que de le tenir en laisse. Est-ce que je suis une pauvre innocente qu'on peut quitter à volonté ? Je m'humilie vraiment trop. Comme si je n'ai pas de ressources pour le retenir, et qui encore, un garçon de vingt ans ! ha ! ha ! nous allons voir. J'aurai trente ans et lui trente-quatre, c'est l'âge le plus dangereux où l'on prend son parti décisivement. Eh bien une fois qu'à cette époque j'aurai su le garder il est assuré pour le reste de la vie comme "la Paternelle".

Mais je divague. A La Victoire nous mangeons des glaces. Pitou au commencement restait sur le siège avec Prater, c'était curieux à voir. Gioia a deux singes et son fils le troisième, il ne peut être de Hamilton, c'est un petit juif. Et qui sait ? Qui dirait que Carlo est le frère du duc ?...

A la maison Khalkonioff, il a fait lire à Makaroff la dénonciation, a joué la comédie et le pauvre diable accourt ce matin chez papa demander conseil, quoi faire. Il est tout effrayé, et surtout parce que c'est dit que Makaroff appartient à la famille des Mormons parce que Dina marche sans bottes avec des bas sales.

C'est charmant comme il est bête.

Le Khalkionoff me regarde trop, je crois qu'il n'est pas content, je ne lui donne jamais la main, c'est mon opinion: donner la main preuve d'amitié ou de sympathie. Pour lui ni l'un ni l'autre.

J'ai fait rire tout le monde, ai ri moi-même, ai mangé un melon entier et me couche contente.