Dimanche 24 août 1873
Dimanche 24 août 1873
On m'a réveillée de bonne heure, d'abord le coffre, ensuite Laferrière.
La robe est assez laide et surtout le corsage est trop étroit dans la poitrine de dix centimètres. Je la renvoie, je voudrais ne pas la prendre. Je m'habille, mais il fait très chaud. Je suis au désespoir, je n'ai rien à mettre ! Bikowsky vient et nous déjeunons (robe verte, ni bien, ni mal), il fait très chaud, extrêmement chaud.
Ce Bikowsky est le même, petit assez agréable. Enfin nous arrivons, il n'y a que quelques voitures au commencement, mais plus tard on arrive, mais on ne peut pas dire qu'il y en eut eu beaucoup.
Pas une toilette mais c'est naturel, ce sont des courses simples, ce ne sont pas des courses de mai ou d'octobre à Longchamp. Au printemps, je vais en Angleterre, je tâcherai d'être à Paris au moment des courses. Nous avons une place tout à fait près de la corde, nous sommes au premier rang vis- à-vis la tribune. Il fait très chaud ! Je m'empresse de regarder le programme et je trouve au bout: sir David, duc de Hamilton. Il n'a qu'un seul cheval I. [Rayé: Peut-être ce sont des économies, c'est très sage, alors il vaut mieux se débarrasser de ses dettes et économiser un peu.]
A la première course, je vois arriver un cheval rouge et gris, je croyais qu'il est à Hamilton, mais non. Vraiment les courses c'est ce qu'il y a au monde de plus amusant ! Après celles de Vienne j'étais refroidie, mais en France quelle différence ! Là pas un cri, pas une exclamation, pas un geste, des dames en bas, entourées de messieurs, parlent haut de tout excepté des courses. Et sur chaque figure on lit l'enthousiasme, l'excitement [sic], la vie ! A côté de nous il y avait un cocher anglais et comme les chevaux passaient tout près, il criait %%2025-12-07T12:16:00 LAN: CODE-SWITCH: "Go on, Jennings, go on!" - English coachman's racing cry%% Go on, Jennings, go on ! Même jusqu'aux cochers, tous, tous prennent part. Ils faisaient des remarques et s'intéressaient au gagnant aussi bien que le premier gentilhomme anglais. C'est charmant de voir tout le monde pénétré de la chose ! Les chevaux passent si près que les nôtres s'effrayent. C'est la première fois que je les vois courir de si près. Ils sont tous jeunes excepté deux, tous de deux à cinq ans. La troisième course courue par des pouliches de deux ans. Mais elles sont fortes et belles pour d'aussi jeunes chevaux. Toutes les fois qu'ils partent et passent devant nous, je suis dans les airs, je ne sens pas que
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mes pieds touchent la voiture, je ne vois rien autour de moi excepté les chevaux, si l'on assassinait quelqu'un en voiture, je ne m'en apercevrais pas. Je voudrais ne pas être en landau mais au milieu de la foule pour pouvoir crier de toute la force de mes poumons. Quand je vois les chevaux qui touchent le but et s'ils marchent à peu près également, je deviens folle et il faut de la force de caractère pour ne pas crier. %%2025-12-07T12:17:00 LAN: CODE-SWITCH: Extended English sentence - Marie's excitement at races%% I would have roared so loud as to frighten the whole population. D'ailleurs, non, ils crient tous si fort ! Ce qui m'extasie le plus, c'est que tout le monde est enflammé comme moi, tous courent, tous crient, tous gesticulent. Sur le balcon de la petite tribune du milieu, devant le pesage étaient ces messieurs. Il y avait quelques Anglais.
Le Menelaus der gute "laus der gute !" laus der gute man von Victoria, man von Victoria, man von Victoria, était là, un binocle par dessus l'épaule et tout rouge. Je l'aime assez, il est le deuxième homme roux sympathique, il n'est pas assez gros, pas assez... enfin il me plaît mais tout autrement. Je suis très contente et %%2025-12-07T12:18:00 LAN: CODE-SWITCH: "thankful" - English adjective%% thankful, de ne pas rougir à son nom.
Je vois passer un monsieur en clair et chapeau gris, et un peu Hamilton.
- Voilà Hamilton, dit ma tante.
- Non, il ne lui ressemble pas, ai-je dit.
Et merveille ! je n'ai pas changé de couleur. Plusieurs fois on parla de lui, même le petit Bikowsky a osé parlé de sa grosseur. Et lui donc, un petit, petit, petit, maigre, noir. J'ai aussi parlé du duc de Hamilton (j'aime mieux dire duc de Hamilton au lieu de Hamilton simplement. Ce journal - malheur à moi - pourrait tomber entre les mains de quelqu'un et si l'on voyait ce nom employé si familièrement, ce ne serait vraiment pas bien.) comme de tout le monde. Je suis heureuse de pouvoir parler de lui simplement.
Depuis quatre mois déjà, je m'imagine que tout le monde sait tout, et surtout depuis un mois, je suis toute malheureuse, j ai tout bonnement peur de parler ou d'entendre parler de monseigneur. (J'emploie toujours des noms convenables). Au- jourd hui, au contraire, c'est si simple que je m'étonne de ma bêtise. J ai plusieurs fois lu son nom, son cheval. Même lorsqu'à la dernière course son sir David apparut, j'ai dit que voilà le cheval de tel et tel, que ce pauvre duc est réduit à un seul cheval au lieu de cinq, j'ai dit les noms de ses chevaux à Nice, et que depuis trois ans il est tombé aux courses, qu'il n'arrive que le troisième. Alors ma tante, qui aime à dire quand elle
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sait ou non, a dit que, tant que Napoléon vivait, le duc de Hamilton gagnait, parce que les chevaux étaient à Napoléon. (Elle a confondu, c'est le comte de Lagrange). Alors j'ai nié, elle soutient, je m'obstine. Puis même elle dit que le duc de Hamilton est parent à Napoléon. J'ai dit, comme cela est en vérité, qu'il est plutôt parent de Guillaume. Sa mère étant la sœur du grand-duc de Bade, qui est marié à la fille de Guillaume, il est donc le neveu du roi de Prusse, et pas de Napoléon. Mais ma tante aime à soutenir ce qu'elle dit, et même tout en laissant voir que j'ai raison, soutient toujours, mais plus faiblement %%2025-12-07T12:21:00 LAN: CODE-SWITCH: "to let the matter drop" - English idiom%% to let the matter drop. Elle a dit comme une preuve de parenté que lorsque le vieux duc de Hamilton est mort à la Maison Dorée, que Napoléon défendit aux journaux d'en parler pour ne pas chagriner la duchesse et pour avoir le temps de la préparer. Elle a raconté cette histoire de la Maison Dorée en détail. Je n'ai entendu cela que de ma tante et par conséquent... pas pour lui faire une injure, ou douter, mais je n'en suis pas très sûre. Elle (pas pour mentir), dit quelquefois des choses qu'elle ne connaît pas, et toutes défigurées. Seulement pour soutenir la conversation. Enfin aujourd'hui on en a parlé comme il y a un an. On en a parlé comme de tout le monde, et j'en suis bien aise. C'est si agréable de parler des gens qu'on aime !
Le petit Bikowsky connaît beaucoup de monde de Nice, de Casa Play par exemple. Il a rencontré la comtesse de Galve à un thé et l'a si bien décrite, caractère et parler que je lui crois. C'est un petit menteur quelquefois.
Parmi ces messieurs (je nomme ainsi les hommes du balcon, je ne trouve pas un autre nom) il m'a semblé voir le duc de Hamilton. Ma tante a dit même que "Hamilton" est là. Mais il n'est pas là, car lorsque nous nous sommes promenés devant les tribunes, je vis l'homme que je prenais pour Hamilton.
En regardant de la voiture, je voulais croire que c'est lui, mais le dos est tout autre et le profil, la ressemblance de loin est dans le costume gris, chapeau gris et peau rouge. Un moment j'ai cru qu'il a changé de dos, mais je n'éprouvais aucune joie, rien ne me disait que c'est lui et bien que de loin, cet homme semblait bien être le duc de Hamilton, je doutais, car j'étais calme.
Plus tard cependant de la voiture, lorsqu'à la première cloche le balcon se remplit il m'a semblé le voir, mais de si loin je ne pus distinguer les figures. D'ailleurs ils se res-
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semblent tous.
Je dis cela, parce qu'il n'y était pas. Pour sûr, s'il était là, je le verrais, je le reconnaîtrais à une lieue de distance, et puis mon cœur me le dirait.
Le cœur est %%2025-12-07T12:20:00 LAN: CODE-SWITCH: "flesh" - English word for anatomical French%% un morceau de flesh qui communique par une petite ficelle avec le cerveau qui à son tour reçoit les nouvelles des yeux ou des oreilles, et tout cela fait que c'est le cœur qui vous parle. Parce que la petite ficelle s'agite et le fait battre plus que d'ordinaire, et fait monter le sang à la figure.
Lorsque son cheval courait, j'étais très émue (bête ?), c'est bête de le dire, mais c'est vrai. Je sentais un agacement général et les minutes pendant lesquelles on faisait le tour, et qui me paraissent si courtes toujours, étaient trop longues cette fois. C'est la première fois que j'ai un cheval favori. Tous les chevaux me sont égaux, je n'ai donc pas un autre intérêt que l'amour des courses, chevaux, jockey, paris etc. etc. Cette fois, c'est différent, c'est martyrisant, et cet agacement est charmant, je deviens rouge à tous moments, et dorénavant ce ne peut être autrement. Eh bien nous nous en allons hélas II!
Il y avait une course à deux, Copernius et Orphelin, c'était très intéressant, ils allaient régulièrement, je ne sais pas qui a gagné. J'étais dans un état affreux, un peu comme pour... ah ! non, tout autrement. Je ne suis pas capable de décrire mes grandes émotions, c'est plus fort que moi ! Ma misérable plume n'est rien !!!
Il commence à pleuvoir, je mets mon manteau. Nous allons dîner au restaurant russe. Par mégarde nous ne prîmes pas un salon, mais on s'assit dans une chambre pour au moins vingt personnes croyant que personne ne viendrait. Mais il vient trois dames françaises, après, une cocotte avec un homme, et après un monsieur et une dame. Nous étions en société, j'ai bien mangé cependant. Commencé par la fin et fini par le commencement. Je m'imagine ce que ces dames penseront de moi !
1 - du thé, quatre tasses,
2 - des écrevisses,
3 - des concombres,
4 - du bœuf,
5 - encore des écrevisses, 6 - des fruits.
Avec, cela un petit verre d'eau-de-vie. Mais c'est avec de l'eau -Cl, j'avale %%2025-12-07T12:22:00 LAN: SPELLING: "bouche" misspelled as "bouche" - Marie's error preserved%% d'un seul bouché [sic] le petit verre. On est gai
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comme toujours à dîner. J'étais un peu empêchée dans mes élans burlesques par la présence de Bikowsky et des autres. Je veux me défaire de cet esprit bouffon.
Nous rentrons à l'hôtel, on regarde mon waterproof avec attention. Bikowsky reste quelque temps chez nous, vers deux heures et demie s'en va. Je me déshabille sans lui dire adieu et en partant lui donne deux doigts à travers la porte.
Ma tante se fâche parce que j'écris trop; elle ne veut pas s'en aller avant de me coucher. Eh bien j'obéis, et ça n'est pas trop tard. Je bavarde trop.
Oh I Hamilton ! Je t'aime !