Lundi 18 août 1873
Lundi 18 août 1873
A cinq heures du matin on me réveilla ! C'est Paris ! Je m'habille vite, mais il y a encore cinquante minutes, j'eus donc le temps de me réveiller complètement [Rayé: et de regarder.] Mais voici la gare, le train s'arrête, nous descendons. Il fait frais, froid. Nous prenons une voiture, les cochers à Paris sont atroces. Ma tante commande et nous allons à l'hôtel de Hongrie et d'Espagne. Il n'y a pas une chambre. Alors pour ma grande satisfaction nous allons au Grand Hôtel et nous y restons. Paris le matin est drôle, on ne voit que bouchers, pâtissiers, bottiers, merciers, restaurateurs, ouvrant et nettoyant leurs boutiques et cafés. Des bonnes ayant l'air pressé et courant les yeux baissés. Elles ont l'air de ne rien voir excepté le bout de leurs pieds, et cependant elles passent avec tant d'adresse que c'est étonnant. Il y a deux ans au mois d'octobre, à la même heure, nous entrions dans Paris. Vers midi, j'étais non seulement installée mais prête à sortir (robe verte, bien). A Paris je suis chez moi, je vis, je respire, tout m intéresse, loin d'être paresseuse je suis au contraire trop pressée. Je voudrais, non seulement marcher mais voler. C est maintenant seulement que j'apprécie Paris, après une ville allemande. Je voulais me faire croire qu'il y a du monde à Vienne, mais c'est impossible. Tout l'hôtel est plein d'Anglais très bien, ce ne sont pas des misérables comme ceux qui viennent à Nice, mais %%2025-12-07T11:20:00 LAN: PERIOD: "gentilshommes" = gentlemen of noble birth - class distinction important to Marie%% des gentilshommes. %%2025-12-07T11:21:00 LAN: MARIE-QUIRK: "hommes" emphasized - Marie means real men worthy of attention, class/appearance standards%% Au moins on voit des hommes~t~ et ce n'est pas peu. Les femmes aussi sont bien.
Nous sortîmes. Les rues sont animées, charmantes, j'adore Paris. Nous allons chez Ferry, rue Scribe N° 11, j'ai pris l'adresse à l'Exposition. J'ai acheté deux paires de bottines, l'une noire, l'autre en peau de chamois gris, talons aciers et attachés sur le côté par des boucles du même métal. La deuxième [paire de] bottines de ce genre qui paraît, l'une à l'Exposition, l'autre sur moi. De là chez le diacre, moi et Dina attendions en voiture, je m'impatientais et voulais sortir lorsque ma tante et le diacre parurent. Il s'étonne sans doute de notre grandeur. Il nous apprend que Mme Voyeikoff est à Paris.
On va chez elle, (il y est invité à déjeuner). Nous la trouvons au salon, les enfants n'ont pas grandi, Julie est la même vilaine. Madame a grossi, elle est devenue laide et maniérée à l'impossible. Elle est complètement changée, ça n'est plus l'aimable Mme Voyeïkoff, c'est une affectée, laide, bête et sans manières.
Elle a mis ses filles à l'institut. C'est bien fait, ce sont de vilains enfants. On m'a dit que je suis devenue jolie, (je crois aussi, en comparaison de ce que j'étais) grande. Avec Julie j'ai commencé un dialogue sur l'étude. Elle me dit:
Quelle bêtise, quelle bêtise d'étudier beaucoup, surtout le latin et le grec !
Pas du tout une bêtise, la femme doit étudier autant que I homme. Peut-être selon vous, pour la femme il faut savoir bavarder en français et puis de chiffons. N'est-ce pas ?
Je l'ai piquée ! Mais plus tard je parlais de dentelles à l'Exposition, alors elle dit:
Je ne m y connais pas du tout, j'aurai le temps quand je serai grande. Et maintenant, comme je ne fais pas des toilettes !
- Vous avez raison, dis-je, on a toujours le temps d'apprendre à connaître les chiffons, c'est la dernière chose. Et puis cela vient tout naturellement.
Elle ne s'attendait pas à cela, %%2025-12-07T11:28:00 LAN: IDIOM: "rendre une epingle" = to return a pin/barb - verbal retaliation metaphor%% elle voulait me rendre une épingle, et je l'ai prévenue.
Nous déjeunons chez Mme Voyeïkoff. Mais %%2025-12-07T11:22:00 LAN: IDIOM: "etre sur des epingles" = to be on pins and needles - anxious/nervous%% je suis sur des épingles, ma tante parla de la princesse Souvoroff, %%2025-12-07T11:23:00 LAN: PERIOD: "bataclan" = paraphernalia/stuff/entourage - colloquial term%% de son bataclan, et j'avais peur (bête) que par hasard elle ne nomme le duc de Hamilton. Puisqu'il était parti lorsque la princesse était à Nice.
Dans une demi-heure à peu près nous partîmes. J'en suis vraiment contente. D'ailleurs en partant nous nous embrassâmes avec les enfants. De là chez nous. Le diacre et ma tante et Dina restèrent tout l'après midi à parler de l'affaire Tolstoy et de ses misères. Je m'ennuie de rester clouée à l'hôtel et écouter ce que je sais par cœur. Puis, pour faire plaisir au diacre, chez Véfour, dîner. J'ai mal dîné et puis ce n'est pas très comme il faut il me semble. Nous restons longtemps, on fume, on cause. Il pleut presque tout la journée, ce qui me console de l'avoir perdue. Nous rentrons et le diacre va en chemin de fer, il va voir un malade à Aix. Je suis contente qu'il parte. %%2025-12-07T11:25:00 LAN: MARIE-QUIRK: Blunt dismissal "ni un homme, ni un pretre" - Marie's sharp social judgments%% Ça n'est ni un homme, ni un prêtre, un ennuyeux. Il est sans cérémonie comme un saint père, et simple.
Dans la cour il y a beaucoup de monde surtout aujourd'hui, il pleut. Je me couche à dix heures. Pendant que le diacre était chez nous, nous entendons quelque chose arriver dans la cour avec tant de sonnettes qu'on court à la fenêtre voir ce que c'est. C'est un omnibus. Alors Dina:
- Je suis contente que Marie se soit trompée.
Est-elle bête ! Comment pouvais-je croire qu'il se promènerait à Paris comme à Nice. J'ai pris un journal, et je lis les courses à Dieppe. Je vois "Fantôme au duc de Hamilton". Astrolabe y est, je l'ai dit à haute voix. Il fallait dire que Hamilton y est aussi, le journal pourrait tomber entre les mains de ma tante. Je me fais courage, je recommence du milieu, j'arrive enfin. Fantôme au duc de Hamilton. Je lis ces mots d'une manière étonnée et je me tourne vers ma tante:
- Figurez-vous, le duc de Hamilton ? lui dis-je.
Je fis la même chose avec le baron Finot. Mais avec elle c'est inutile, car malheur à moi, je crois qu'elle a lu mon journal ! Je garde le journal, il est du 17 août. Oh ! s'il venait à Paris ! Le voir seulement ! Le diacre prétend que Gioia (ce nom me plaît énormément) n'a rien eu de Simonoff. Qu'elle attendait, qu'elle a commandé des meubles et qu'elle n a rien eu. C'est égal, Monseigneur le duc de Hamilton paiera ces dépenses. On dit qu'il l'a quittée mais je n'y crois pas. Est-ce qu elle le lâcherait ? Après la perte de Simonoff, celle du duc serait trop sensible.