Mardi 30 janvier 1883
# Mardi 30 janvier 1883
Je ne sais quel coup de vent passe... Je renais, j'ai trouvé un tableau... Je crois qu'on ne peut rester longtemps sous le coup de tels ennuis, on se sent consolé simplement parce qu'on a été désolé et que je suis jeune et que je pense à de belles peintures, mon fameux tableau me réempoigne, je suis impatiente d'être à l'été prochain pour le faire... Ce sera beau, ce sera beau, ce sera beau.
Et en attendant celui trouvé aujourd'hui plus grand chose.
Mais enfin, c'est injuste ! Pourquoi des misères et des potins avec Bastien-Lepage ! C'est vraiment absurde.
Car enfin, il n'y aurait jamais été question ni d'amour, ni de mariage, c'est insensé ! Il me manquait plus qu'on me prête le dessin d'épouser un peintre ! Mais c'est absurde ! Et je crois entendre comment cela se raconte. Je suis riche, volontaire, artiste, je fais ce que je veux, je suis enthousiasmée du talent de Bastien. A aye donc !
Je vois ce que c'est, tout cela c'est parce que j'ai manqué de respect et d'amour au bon Dieu...
Mais hier soir j'ai fait amende honorable, lorsque tout est noir, tout est sale, tout est hostile, il faut prier ou mourir... On dit qu'il ne faut pas s'inquiéter de ce qu'on dit... Si on pouvait ! Moi... c'est au point que je voudrais me cacher dans quelque trou, je n'ose ni sortir, ni voir qui que ce soit... Enfin cela devient maladif... Alors je vais prier; au milieu de toutes ces petites infamies on deviendrait fou sans ce secours... surnaturel... je me tire les cartes aussi... Voilà une association de phrases qui me sera comptée là haut... Mais c'est vrai ! Ah ! mon Dieu je n'ai que Vous et je voudrais croire que je suis embêtée parce que je suis coupable envers Vous, mais je crois bien que c'est Vous qui avez commencé...
Ce doit être un bien grand péché d'interpeller Dieu comme ça...
Enfin, il ne m'empêchera tout de même pas de le prier et c'est tout ce qu'il me faut, car je ne crois pas qu'il se dérange pour m'envoyer quelque consolation-
Je prie sans espoir, pour me raffraichir l'âme et en appeler à la Divinité pleine de justice et de bonté de toutes ces mesquines abominations---
Si Dieu ne s'inquiétait pas de nos petites misères, ce ne serait plus Dieu, car un Dieu scientifique me paraîtrait bien inutile.
"Si le ciel est désert nous n'offensons personne, Si quelqu'un nous écoute, qu'il nous prenne en pitié".
Et bien qu'il me prenne en pitié, que ces persécussions cessent--- Que les moindres choses ne se tournent pas contre moi...
Ah ! je voudrais bien avoir à remercier Dieu... Ce serai si bon... J'ai beau dire... J'ai besoin d'y croire... Les heureux et les tracassés qui espèrent encore y croient... Le jour ou on n'y croit plus... ce doit être épouvantable.