Bashkirtseff

Dimanche 14 janvier 1883

Orig

# Dimanche 14 janvier 1883

Il a paru une qantité d'articles sur notre fête et un surtout ou on attribue à Bastien-Lepage l'organisation artistique de la soirée. J'ai l'air d'avoir fait passer Emile pour le Vrai et de m'être vantée... C'est tellement insupportable que j'écris aussitôt à l'architecte et je l'accuse d'avoir donné de faux renseignements aux journaux. L'article disait que M. Bashkirseff est un ancien gouverneur de la province de Poltava; Je m'accroche à cela et voici:

Dites donc c'est vous qui avez donné des renseignements au "Voltaire". Mon père n'est pas dégommé, Bastien-Lepage n'a rien décoré etc. Enfin qui sans vous saurait que vous avez accroché trois draperies avec ma cousine ? Si ce n'est pas vous je vous pardonne.

Voici sa réponse en déplorable français, pauvre architecte.

Et voici la mienne.

Je suis enchantée d'avoir provoqué cette explication, il n'est possible de réparer ses irréparables niaiseries qu'à coup de franchise. C'est ce que nous faisons... Ça n'est pas la première fois que nous sommes attaqués avec plus ou moins de gravité, car je le vois à présent, la méchanceté est pour nous. Si vous n'êtes pour rien dans l'inepte article de ce matin, et je le crois réflexion faite, je ne veux pas non plus, mais là, pour rien au monde qu'il y ait l'ombre d'un soupçon que nous nous soyons vantés d'organisation ou de décorations chimériques. Vous sentez bien ce que ce rôle aurait d'insupportable, de ridicule et combien II me répugnerait d'avoir l'air de lancer sottement en avant des noms connus. L'intention de nous mettre dans une fausse position vis-à-vis les uns des autres est évidente. Et ce qu'il y a de plus triste, c'est qu'on a réussi.

On a beau se dire que c'est expliqué, c'est égal, il reste un nuage et c'est enrageant quand on pense au plaisir que cela fait à ceux qui l'ont voulu.

Quant à vous pour être bien reçu, et aussi je le pense ailleurs, vous n'avez nullement besoin qu'on vous prenne pour votre frère.

Je ne peux pas vous dire combien ces misérables perfidies m'affectent. [Dans la marge: Enfn fou ou méchant ces histoires m'assomment. Et tout en lui disant hier de ne plus revenir je lui ai demandé pourqoi il dit du mal de moi, que "si je n'ai pas voulu vous épouser, ce n'est pas une raison suffisante, on ne peut pas couvrir d'infamies une jeune fille [Mots noircis: qui n'a pas] voulu de vous dire.".]

N'en parlons plus jamais mais sachez tous les deux que moi et les miens serons toujours heureux de vous compter au nombre de nos meilleurs amis.

Donc à mercredi onze heures, c'est convenu.

Amitiés.

Marie Bashkirtseff

Enfin tout cela m'agite excessivement. Cela l'a empêché de venir vendredi et ça coupe notre amitié naissante avec le vrai Bastien. Amitié... Je ne soupçonne pas de méchanceté, les articles, au contraire on a voulu être agréable... Mais cela créé un état de chose absolument détestable ! C'est gênant, c'est absurde, c'est ennuyeux. Oh ! ou sans compter les notes que j'ai eu la bêtise d'envoyer à Etincelle qui me les a demandées "pour la consoler de son absence". Est-ce que vous croyez que ça amuse les Fitz-James et les Charette d'être mis en réclame... Comme ça...

Je ne suis pas sur des roses... Et je voudrais bien rattraper tout ça mais Saint Amand dit avec raison qu'il est trop tard, que c'est impossible, que maintenant c'est lancé... Villevielle vient me voir et je me plains des journalistes. Et à six heures nous allons avec maman chez la duchesse qui nous reçoit dans son lit et je la prépare par plaintes à l'article du "Figaro" de demain. Elle nous dit que les dames qu'elle devait nous amener; Mmes de Vaufreland, de Villeneuve-Bargemont, etc. ont été prévenues qu'elle dirait pas et qu'il n'y avait pas de soirée. Je suis considérablement ennuyée.