Mardi 5 septembre 1882
# Mardi 5 septembre 1882
Bojidar est arrivé de la campagne hier et... Dîner chez nous ainsi que le prêtre. Il pleut tous les jours, sitôt que je commence quelque chose je suis trempée et sitôt que je me remets à peindre dans l'atelier le soleil se montre de sorte que... Et puis... Car enfin... Toujours la même chose.
D'un côté l'hôtel donne rue Ampère et la porte est au n° 30, rue Ampère, il n'y a que de beaux hôtels avec ateliers pour la plupart; mais d'un autre côté nous donnons rue Brémontier qui est pleine de petits hôtels et de cocottes. C'est là le terrible, l'hôtel est construit sur un terrain d'angle, la rue Ampère, la rue Brémontier et l'avenue Wagram se croisent et le pan-coupé de l'hôtel fait face à ça. Donc du balcon on voit les petits hôtels de la rue Brémontier, cela m'avait épouvantée en arrivant et c'est alors qu'il a été question de sous-louer l'hôtel. Car ces femmes me font horreur comme si j'en avais souffert ou comme si j'allais en souffrir beaucoup... Vous vous rappelez la note du "Figaro" sur les courses de Nice 1876. Depuis lors... Et après ça à Naples ça a été une vraie maladie, je croyais toujours qu'on me prenait pour une cocotte... Et au grand hôtel avec ma tante comme j'avais une voix merveilleuse et que je chantais toutes sortes d'airs d'opéra dans ma chambre, on me prenait pour une chanteuse et les gens bien renseignés ajoutaient: du théâtre Saint Michel de Pétersbourg.
Maintenant ce voisinage... Et puis je peins, souvent, très souvent je ne regarde pas comment je suis habillée, pour la plupart du temps c'est une jupe et une camisole quelconque... Les ouvriers, les commis d'architectes, les coleurs de papiers, tout ça allait venait, va et vient, ça doit leur paraître drôle... Enfin il m'est arrivée de fumer et il se peut qu'on m'ait vue... Et puis j'ai toujours les cheveux fort mal arrangés, enfin j'ai un aspect déplorable... C'est ce pauvre Emile Bastien qui me fait dire tout ça; [Mots noircis: et cela souvent] avec ma tante et fumant tous les deux, alors je lui ai reproché en riant de fumer chez moi et il m'a répondu que je fumais moi-même. Et comment cela. Mais oui et vous fumez même du tabac extraordinairement bon.
- - Et qui vous l'a dit ?
- - Mais... Tenez et c'est même assez bizarre, j'étais dans un restaurant et j'entends trois hommes dont l'un dit qu'il a été rue Ampère. Quel n°? 30. Alors j'ai écouté et j'ai entendu prononcer votre petit nom...
- - Marie ?
- - Oui, et il a dit que. Il a parlé d'une jeune fille... Charmante qui fume du tabac très bon et puis de votre costume... Mais je n'ai pas bien entendu.
Il ne pouvait pas dire... Mais je suis consternée... Et c'est ma faute et ça finira un jour par me rendre très malheureuse, car ces choses-là me frappent comme quand ça frappe juste...
Ça me fait mal à la tête... Et j'ai été stupide avec ce pauvre architecte, je l'ai questionné qui étaient ces hommes, et il croit que c'étaient des commis de chez Pevrier l'architecte de l'hôtel.
Je m'imaginais que ce frère de Bastien n'était plus respectueux comme avant et qu'il me regardait autrement et ça me gênait et j'ai été bête, riant trop et enfin il a dû... Ah ! je n'en sais plus rien. Il pleut tous les jours, c'est désespérant pour moi qui ai envie de travailler dehors... J'ai fini une petite fille avec un parapluie, c'est mauvais et la petite avait une tête odieuse, une de ces petites gamines de neuf ans, jolie et antipathique comme tout. Alors j'ai été à l'asile et je n'ose pas entreprendre deux petits garçons à la fois; je serai forcer de mal finir, il faut compter huit jours pour chaque tête car les pluies et les agacements...
Et si je faisais les hommes au café... Je ne sais plus, les choses me frappent et puis... Nature mal équilibrée, tête à l'envers, et avec ça... Enfin une folle qui a conscience...
Dumas père a dit que lorsqu'on hésite entre deux choses c'est que ni l'une ni l'autre n'est bonne... Et il ajoute qu'il n'a jamais hésité plus de cinq minutes dans sa vie. Il est bien heureux ou bien menteur-
Je n'irai pas en Russie... C'est-à-dire--- Car enfin il n'y a pas de raison et--- Je suis sûre quoique je choisisse de tomber on the wrong. Je vous demande pardon de parler anglais, c'est le roman que j'ai lu, autrement les compatriotes du duc de Hamilton ne m'inspirent que du dégoût comme l'incarnation du calcul, de l'égoïsme et d'autres mauvaisetés. Cette affaire d'Egypte et le canal de Suez !