Vendredi 1er septembre 1882
# Vendredi 1er septembre 1882
Je reçois une lettre de maman qui m'écrit que les jeunes voisins arrivent pour deux mois avec des amis et qu'on va organiser de grandes chasses. Elle est prête à revenir mais comme j'avais dit de m'avertir si... Elle m'avertit. Voilà.
Voilà. Eh bien cela me plonge dans un océan d'incertitudes, de doutes et de troubles. Si j'y vais mon exposition est flambée... Si encore j'avais bien travaillé tout l'été, j'aurais eu pour prétexte qu'on a besoin de se reposer mais non. Enfin, avouez que ce serait magnifique. Oui, mais rien n'est moins probable ... Faire quatre jours et quatre nuits de chemin de fer et sacrifier les efforts d'une année pour aller essayer de plaire et de se faire épouser par des gens qu'on n'a jamais vu... La raison et les réflexions n'ont rien à voir là dedans... Du moment que je discute cette insanité je la ferai peut-être... Car je ne sais plus ce que je fait... J'irai chez une tireuse de cartes, chez la mère Jacob qui m'a prédit que je serais très malade.
Pour vingt francs je viens de m'acheter du bonheur pour deux jours au moins. La mère Jacob me prédit des choses ravissantes, un peu embrouillé... Tout ça mais ce qui revient avec insistance c'est que je vais avoir un succès énorme, éclatant, les journaux en parleront; un grand talent que j'aurai... Et puis un grand changement heureux, mariage très beau, beaucoup d'argent et voyages, de grands voyages. Et puis que j'aime ou aimerai un homme marié et que... Vous permettez que je parle comme la tireuse de cartes ? J'étais mal mise et cette femme ne s'est pas gênée, elle m'a donc dit que je vivrai avec cet homme marié et que j'en aurai des enfants. Et que si ce n'est pas vrai elle ne s'appelle plus Jacob, et elle le jure sur le Bon Dieu et sur le ciel... Vous verrez, vous verrez, un succès immense, beaucoup d'argent, grand mariage et l'homme marié... Dame... Et un homme charmant, gentil, pas le marié, un autre, intelligent, supérieur, quelqu'un enfin ! Brun avec des yeux magnifiques et des sourcils droits se joignant un peu... Cet homme-là m'aime... Qui c'est ? Ça ressemble à Tony... Mais ce qui est curieux c'est cette prédiction d'arts, de triomphe, de voyage sur l'eau, de changement brillant... Je ne me rappelle que des choses qu'elle a répétées dix fois en jurant que ça arriverait.
Et puis des morts autour de moi... Mais du moment. Ô mon tableau. Et quant à l'homme marié... Je vais me coucher dans une joie bébête si vous voulez, mais ça n'a coûté que vingt francs. Je n'irai pas en Russie mais à Alger... Car si ça doit arriver, ça arrivera aussi bien là qu'en Russie.
Bonsoir, ça m'a fait du bien.