Bashkirtseff

Mercredi 3 mai 1882

OrigCZ

# Mercredi 3 mai 1882

Julian a dîné ici hier et il a vu mes toiles de Nice. Il paraît que c'est tout à fait affreux, que c'est à les crever avec des coups de pieds; que je suis dans le troisième dessous, qu'il aimerait autant être pris par des tenailles en fer rouge que de me voir faire des infamies pareilles. Comment !!

Moi qui promettais tant !!

Des ébauches jetées au panier qu'il a recueillies, [Mots noircis: arrêtant] tous ceux qui viennent chez lui. Suis-je seulement capable d'entendre des vérités ?

Eh bien en voilà ! C'est abominable de bâcler au lieu d'observer, c'est du travail de femme, je ne suis qu'une femme ! Ce n'est qu'en bien me pénétrant de l'idée que je suis dans la plus abjecte des décadences que je pourrai peut-être en sortir, car c'est odieux ce que je fais et si on ne connaissait le passé, on ne verrait dans ces toiles rien, rien, rien !

Et notez que je vous ménage.

Eh bien j'aime autant ça, ce sont toutes mes inquiétudes, craintes et ennuis réduits à leur plus nette expression.

Je le savais, mais je suis plus tranquille que cela m'est dit. J'en sortirai. Et je marierais Julian avec Dina bien qu'il trouve que c'est moi qui suis charmante. Ça m'amuse, je ne cause pas avec lui, je joue et me sentant devant un bon public je suis excellente d'intonations enfantines et fantaisistes et d'attitudes; enveloppée d'une robe de laine blanche à plis harmonieux; une figure de Lefèvre qui sait si bien dessiner ces corps souples et jeunes dans de pudiques draperies.

Oui, je ne me donne pas la peine de peindre, je me suis observée aujourd'hui, je triche, mais je vais être sévère.