Bashkirtseff

Dimanche, 5 juillet 1874

Orig

# Dimanche, 5 juillet 1874

La promenade que je fis à Annette et Lubin m'a charmée, j'y ai appris beaucoup de belles choses sur le genre humain.

Nous montions, moi, Paul, Eristoff, Body, le comte laissant en bas Dina avec Basilévitch, pendant la montée la princesse Eristoff me [Rayé: racontait de] cancanait sur le compte de Basilévitch, parlant d'elle comme de la Basilévitch.

Monsieur Body de son côté parlait mal de M. de Neufarge, sur la montagne nous avons pris du lait de chèvre. Nous nous balançâmes sur des balançoires, ce qui fit penser qu'il nous en faut une chez nous, et un pas de géant aussi. Le pas de etc. en robe blanche serait d'un charmant effet, on vole comme des papillons.

Tout à coup nous voyons paraître, Basilévitch, son mari et ses enfants, et Dina.

Nous restons encore quelque temps, puis on descend. Moi avec Basilévitch qui, en descendant [Rayé: parlait], cancanait sur le compte de la princesse Eristoff comme celle-ci sur le sien.

Rien de grave sans doute n'a été dit.

Dans l'allée nous rencontrons maman, c'est sa première sortie après sa maladie de trois jours.

Au Pouhon Dina et moi allons faire [Rayé: un tour] la promenade, après le Pouhon exigé; de Neufarge accompagne. Eh bien, pendant cette promenade c'était son tour de mal parler de Body, Body selon lui a été usurier; il a dit cela tout en disant qu'il n'a pas commencé le premier, que Basilévitch a commencé, qu'il ne dit rien etc.

De Neufarge est un homme [Rayé: comme il] du monde, parfaitement mis, ressemblant à une gravure de mode, (ce qui est bien selon moi) mais il dit trop.

Peut-être pensait-il que nous ne comprenons pas ou plutôt il voulait qu'on pense, qu'il pense que nous ne comprenons pas. Car il dit une ou deux choses. C'était voilé il est vrai, mais peu puisque j'ai compris.

Nous avons tous dîné à L'Europe. L'idée me vint qu'il faudrait prendre l'Anglais dans notre bataclan. Pauvre bataclan sans tête, j'en suis la petite tête mais je n'ose. Que puis-je faire à quinze ans, que puis-je inventer, où puis-je mener mes gens à quinze ans. Je puis tout et n'ose rien. Je ne peux animer.

Ah si j'étais madame, comme on s'amuserait ! Aujourd'hui telle promenade, demain pique-nique puis réunion chez moi, ensuite on danserait dans le rond entouré d'arbres au bout de l'allée, puis à cheval, à âne etc. etc.

Il faudrait bien s'amuser de ces pauvres choses puisqu'on est dans un misérable endroit.

Cet Anglais ne parle pas français et cela lui donne un air de naïve béatitude. Il est officier en Angleterre, écossais, une de ses sœurs est une grande et belle blonde.

Après dîner, je conduis une voiture à deux chevaux. Maman, Dina et Paul (robe grise) nous allons dire bonsoir à Gambart sans descendre de voiture. Il nous retrouve à la musique, ce soir est l'ouverture de la saison théâtrale. Lorsque... n'étant plus jour il n'était pas encore nuit, nous étions assises avec Basilévitch sous un arbre, passe Macainne je dis à maman:

- *Maman, il faut le prendre dans notre bataclan, ainsi ce n'est pas bien.

- Tu veux, je l'arrête*.

- Non

- Come here Sir, and sit down, dit tout à coup Basilévitch, il s'approcha et on parla. Je fus obligée de lui traduire pour Basilévitch des compliments exorbitants, qu'il était le plus beau monsieur, que c'est pour lui qu'elle fit toilette samedi dernier, que sa sœur est belle mais lui encore plus.

- I am bashful, dit-il en riant naïvement et avec satisfaction, je lui dis que I am ashamed to tell you such things sufficient to render bashful a young lady.

Pendant qu'on était au théâtre je reste avec Basilévitch et le comte, maman était aussi au théâtre.

Chacun devait raconter son caractère et avant cela on devait deviner le caractère de chacun et dire les défauts et qualités. Le comte n'est pas bête mais il est jeune. Je posais sa jeunesse comme un défaut.

Cette causerie bâtie de finesse et d'esprit était très agréable.

On rentre ensemble, Mersh, un Belge, nous accompagne comme les autres.