Bashkirtseff

Jeudi, 11 juin 1874

Orig

# Jeudi, 11 juin 1874

J'étais en train de rêver que Machenka voulait épouser un officier, il était en bleu couché par terre, je le lui déconseillais et tout à coup cet officier se changea en une hydre à trois têtes, et se mit à me poursuivre, alors saisissant ces trois têtes ensemble, ma main enveloppée dans un mouchoir je l'étouffai. Il paraît que ce n'était pas assez car le reptile privé de ses têtes se soulevait, j'apportai sur un plat une casserole en terre et deux couteaux de cuisine, avec lesquels je l'ai coupé avec Walitsky, [Rayé: le reptile] il était gros comme ma jambe et blanc en dedans. Je rêvais cela lorsque j'entendis la voix de Walitsky, je ne fus guère étonnée et je ne me levai que lorsque j'entendis près de mon lit:

- Est-ce qu'il faut préparer le bain ? Walitsky imitait Joséphine.

Je ne sais pourquoi on l'envoya, mais il est venu voilà tout. Je pris plaisir à lui faire voir Paris, qu'il connaît d'ailleurs. Nous allâmes au Bois, mais bien qu'il y eut des courses nous vîmes fort peu de monde. Seulement une fois Fedus qui descendait et nous montions, en voiture il se tourna à demi mais je ne rougis pas. Walitsky veut que ce soit Bête qui ait dit que je m'intéresse à lui et que à cause de cela il me regarde, mais c'est absurdité éminente puisque je le remarque parce qu'il m'a regardée. Maman a dit que la première fois qu'il me vit il s'arrêta et depuis ce temps me regarde toujours, en effet je le connais depuis qu'il m'a regardée. Il est temps que je repasse mes journaux, je n'étais pas assez claire, hélas !

Maintenant peut-être outré-je, je dis tout ce que j'ai le temps de dire. Il m'a semblé voir le prince noir dans un coupé, j'ai fait tourner quelques minutes après. Mais je ne le revis plus, n'importe. Je voudrais bien savoir pourquoi Fedus me fixe, si c'est un vaurien, et qu'est-ce qu'il s'imagine !

Ce qui me fait parler de cet imbécile et ce qui m'inquiète c'est que je crains qu'il n'ait vu ma rougeur et qu'il ne l'interprète à sa façon. Ce sera énormément fastidieux.

J'avais plaisir à entendre parler de la maison, d'Adam, de Trifon, de Fortuné, etc. etc. des singes.

On dit que Gioia est devenue plus amusante que Pitou, qu'elle se baigne et puis se sèche au soleil.

Les Anitchkoff quittent tout à fait Nice, j'en suis très chagrinée, c'étaient de véritables amis dévoués, comme on n'en trouve pas deux fois.