Jeudi, 28 mai 1874
# Jeudi, 28 mai 1874
Je ne suis pas allée voir Jeanne l'Indienne, elle était chez moi, elle m'a rappelé Bade. Demain j'irai chez elle.
Nous étions à l'exposition au profit des Alsaciens-Lorrains, au Corps législatif. Il fait chaud. Je monte chez le diacre lui donner quelques conseils pour une lettre qu'il doit écrire. Ensuite nous allons avec lui à Baccarat. Les cristaux y sont magnifiques, nous fîmes inscrire pour plus de trois mille francs. Les expositions et les grands magasins fatiguent beaucoup.
Nous allons au Bois nous rafraîchir. Mais tout à coup j'aperçois quelque chose d'extraordinaire, c'est la vicomtesse Vigier. Elle salua maman, en retournant nous voyons la princesse Souvoroff assise sur une chaise avec une dame et un chien, maman fait arrêter la voiture; Souvoroff vient au devant de maman et paraît être très contente. Elle la gronde, parce que maman ne lui avait pas laissé son adresse, étant chez elle il y a une semaine, nous invite demain à deux heures, promet de venir chez nous à 55, à Nice et me demande où nous allons pour l'été, j'ai dit à Spa. "Nous aussi, le médecin a dit que ma fille a besoin d'y aller pour vingt jours".
Elle va dimanche à Chantilly, sa fille, dit-elle, adore les chevaux et les courses, alors j'ai dit que je les adorais aussi. C'est une femme très agréable et belle.
Nous allons au Bois, il y a encore un hôtel à vendre que nous visiterons demain.
A dîner on se souvient du voyage à Vienne et nous avons beaucoup ri sur les frayeurs de ma tante.
En allant à Paris je pensais que maman irait tout de suite chez la princesse Souvoroff, que nous serions avec elle et que je passerai ce peu de temps comme j'aime. Mais il en est arrivé autrement, tant pis.
Je trouve qu'on mange très bien dans le bistrot russe. Sans doute, le botvinia [potage froid au poisson] et autres cochonneries sont bannies de ma table. En route vers l'hôtel il y avait trois hommes comme il faut qui nous regardaient et se sont tournés plusieurs fois; avant tout j'ai essayé du russe: andouille ils se tournèrent encore et un d'eux avec un sourire, alors j'ai dit à maman assez haut pour être entendue.
- Je ne veux pas qu'on se tourne et nous regarde comme des imbéciles. Nous devions traverser pour rentrer et en m'en allant j'ai dit:
- Imbéciles, cochons mal élevés.
J'étais fâchée, c'était bête. J'ai dit avant tout andouille car ce sont les Russes qui s'imaginent qu'à Paris [Rayé: il n'y pas une femme] toutes les femmes sont des cocottes. Nous avons l'air comme il faut, mais le soir on ne voit pas et être après neuf heures sur les boulevards c'est suspect. Je joue à la balle.