Mardi, 26 mai 1874
# Mardi, 26 mai 1874
Ah ! que je suis fatiguée. Je viens d'écrire une longue lettre à Hélène, une réponse. Puis une lettre encore plus longue à ma tante. J'en ai mal à la main. Je n'ai pas fait mon journal hier, je me suis couchée entre maman et Dina, et sans le savoir je m'endormis. Réveillée je n'eus le courage que de passer chez moi.
Le matin j'étais très animée, il y avait courses à Auteuil, des courses importantes, vingt-neuf chevaux anglais. Puis il y avait des noms convenables et le duc de Hamilton faisait courir, Sir John, Fantôme, Mobile II. Le temps était magnifique. Je trépignais de joie en pensant à ces courses. Enfin des j'aime. Maman a fait toilette, nous prenons le diacre et Jaxa, je mets mon chapeau de paille. Je suis très gaie, nous partons.
Mais au commencement du Bois oh terreur ! de grosses gouttes tombent du ciel en courroux.
Toutes ces belles voitures se ferment et font disparaître toutes les toilettes divines, les lèvres rouges comme des cactus, des cheveux aussi jaunes que les épis, des yeux aussi brûlants que des charbons. Chaque cœur se serre, on se presse l'un près de l'autre, on retrousse ses jupes, on chiffonne ses coiffures. Et tous ces chevaliers du Pince-Nez ! Défaite complète.
Nous restons en voiture et ne voyons rien, il pleut à verse.
Le président et la duchesse de Magenta sont dans leurs tribunes, beaucoup de beau monde. Mais il pleut. Le champ de courses à Auteuil est splendide. Beaucoup de chevaux. Pour le prix de trente mille le ciel eut pitié de nous et la pluie a cessé pour cinq minutes, vingt-et-un chevaux; il fallait faire trois fois le tour, vingt-et-un obstacles, quatre rivières.
Au premier tour plusieurs tombèrent, au deuxième la même chose et vers la fin quatre seulement arrivèrent, Miss Hungerford était en avant d'une longueur et demie mais tout à coup Dominus fait un effort surhumain, sublime, je voyais le cheval et le jockey suffoqués, hors d'haleine, rageant, devancer d'une longueur Miss Hungerford mais dans cet élan sublime [Rayé: le jockey fit sauter à son cheval] Dominus saute la dernière rivière qu'il ne devait plus sauter. Et à cause de cet héroïsme il fut compté deuxième ayant devancé Hungerford mais hélas ! trop tard.
Puis la pluie recommence. Pendant cette course mon cœur battait, je m'amusais, je vivais.
Comment n'ai-je pas encore vu Fedus ? Il n'a pas pris part au dernier Tir. Mais Rothschild ne fait pas défaut. Nous le voyons tous les jours, il me plaît. Meyer, ce vieux Fritz, loge chez nous, au Scribe. Ma plume d'or n'écrit plus du tout. Elle vaut encore mieux que celle que je venais de prendre.
Au retour la pluie a cessé et le retour n'était pas désespérant.
Beaucoup de landaus fermés, mais aussi beaucoup de voitures ouvertes.
Et Mme Rosalie Léon dans ce coupé que j'admirais hier. Le singe dans une voiture comme ça ! Je vis Berthe Boyd avec ses sœurs. Elle est grasse mais jolie et un air satisfait et heureux.