Bashkirtseff

Mercredi, 6 mai 1874

Orig

# Mercredi, 6 mai 1874

A neuf heures nous avons vu partir les Howard. Les Boutowsky étaient sans doute là; ces petites souris fourrent leurs museaux partout où je suis bien.

Je n'étais pas tout à fait satisfaite, puisque les Boutowsky prenaient la moitié de tout. Ce n'est pas l'amitié, mais c'est l'amour-propre. Je n'avais jamais d'amis, je n'en ai pas et je crois que je n'en aurai jamais. Je ne crois pas que l'amitié telle que je me la représente existe chez une autre personne que chez moi. Je suis bonne, généreuse, sûre, aimante. Je donne ce que je peux bien que souvent l'on m'en empêche par des regards ou par des paroles indirectes qui me rendent honteuse de ma bonté et de mon amabilité, on me rend froide et défiante. D'un côté c'est bien, parce qu'il y a tant de triste.

Toutes les fois que je donne la liberté à mon cœur et à mon esprit, on m'arrête par un mot méchant qui me glace et me blase !

Mais je m'éloigne de ce matin, ce ne sont pas ces pensées que j'avais dans la tête, c'est ce soir qu'elles me viennent toutes seules.

Ce vieux Barrême partait et un autre jeune homme que nous nommons Volkoff. Beaucoup de messieurs les reconduisaient. M. Tichkevitch, celui qui a dit que je plairai aux hommes parce qu' e//e a un minois incroyable .

Je regardais avec satisfaction maman entourée par MM. Tichkevitch, Barrême et Inemployé * qui désormais a un nom: Galula. Il est commode comme une espèce de domestique de salon.

Hélène, Lise et Aggie vont m'écrire aussitôt arrivées. Les adieux étaient tendres.

Je passai au marché avec maman, puis la laissant à la maison, j'allai avec Dina à 55 où je passai une heure à considérer, réfléchir sur la plantation et la transplantation des arbres.

Ma tête a été bien maltraitée, une heure me suffit à peine pour ma coiffure ordinaire et encore elle n'a pas réussi.

Quel soleil aujourd'hui ! mais comme pour me récompenser à six heures il se fit froid et je respirai.

Le soir, moi, Dina et Bête, allons à l'église pour le mariage de la nièce de Mme Warvatzi, assez laide, et le fiancé de quarante-cinq ans, cinq enfants. Là la princesse me présenta à Mme Angel. Au moment où le prêtre disait:

- - Mais la femme est plus grande que le mari !

Mme Angel se retournant :

- - N'écoutez pas ça, ce sera bien ainsi. Il ne faut pas croire ça.

Elle me plaît.

Mon Dieu j'ose encore vous prier de nous faire partir !