Bashkirtseff

Mercredi, 8 avril 1874

Orig

# Mercredi, 8 avril 1874

Toute cette nuit j'ai rêvé de Wittgenstein. Très simplement comme de tout le monde. A onze heures nous allons à l'église pour commencer à ★jeûner * (robe bleue bien, cheveux bas). Je commence à avoir une taille remarquable.

Toute la journée se passe à attendre, quoi ou qui on n'en sait rien, mais chacun attend. On attend jusqu'à ce que vient toute la famille des Allen avec Tebbitt. Maman est avec Madame qui parle français et je suis obligée de prendre les trois hommes.

Ils partent bientôt et Tebbitt enlève un des cachets des professeurs. Est-ce qu'il mourra comme ce pauvre Abramovitch qui m'avait pris l'échantillon gris et me promit de me rappeler je ne sais quoi en le montrant l'année prochaine ?

Maman a retardé pour le train de cinq heures et en est très fâchée, sûre qu'elle aurait gagné vingt mille francs sur le 21.

Je vais si rarement à la Promenade et pour si peu de temps ! Je n'y étais que pour avoir le déplaisir de voir le grand ★effronté* [Rayé: avec la cause de ce] avec deux créatures, deux chiennes petites et fanées. Et il porte la tête basse, les yeux baissés regardant toujours la terre comme les cochons. Je suis sûre qu'il ne peut pas regarder le ciel. Il est honteux et écrasé d'être entre ces deux belles. Je ne sais pas pourquoi je n'ose pas les regarder.

Vers six heures à 55, tous s'y rassemblent. J'escaladai la palissade pour reach the terrasse. Stiopa m'aide pour descendre.

Il y a une confiserie à la rue de France, tout près. Je veux lui donner un brevet.

L'air du soir m'enivre, je suis encore sous l'influence du même sentiment qu'hier... Chose étrange, le prince de Wittgenstein me fait penser à l'autre homme, ce n'est pas sa personne mais la seule pensée à lui me ramène l'autre dans l'esprit. L'autre que je ne puis oublier et que j'aime de plus en plus.

Je ne pense pas sans cause au bourru; ça a dû commencer par quelque chose, ce n'est pas seulement parce que je m'ennuie; il s'est fait remarquer par... eh bien par sa propre personne, pas par autre chose et je ne pense pas à lui parce que je m'ennuie, mais, parce que je ne sais pas pourquoi, parce que j'y pense.

Mais une autre pensée me trouble, à côté, chez maman, on parle grand monde, dames à la mode et mon cœur s'agite et palpite car c'est là sa vraie place, son vrai bonheur.

Est-ce que je serai heureuse ? (je vais voir dans Macaulay la page que je trouverai en ouvrant le livre à droite, dixième ligne) - liberty and progress. -

Je vais chez maman, ça m'entraîne.