Mardi, 17 mars 1874
# Mardi, 17 mars 1874
Je sors à pied avec papa (robe bleue, bien) il commence à faire chaud, et je deviens malheureuse; il n'y a rien de plus désagréable pour moi que la chaleur, je ne puis jouir de rien et je deviens laide. Nous rejoignons tout le monde à 55, le mur de séparation est à moitié fait.
Je vais en voiture en ville avec Machenka. Les vieux Furstenberg me dépassent, les vieux fous.
Je m'ennuie et Nice devient ennuyeux, ça sent l'été. Le soleil brûle. Mon plus cher désir est de m'en aller, m'en aller au plus vite ! Nice est possible depuis novembre jusqu'à la moitié de mars. Quand je pense que je suis condamnée à vivre à Nice, je pleure. Mais pleurer est très naturel, pour moi; à peine se passe-t-il un jour sans que je pleure.
Le soir je joue et je gagne encore dix-huit francs. Je suis toujours [contente] de gagner, voilà qui se nomme avoir de la chance.
Je crois sérieusement qu'on va donner la belle Obélisque au parvus Fedus. Pour cela il faut croire qu'il est très riche, sans cela on ne donnerait pas une aussi belle fille à un Fedus comme lui. Aujourd'hui ma tante a vu la duchesse de Mouchy en voiture, toute en rose, avec Fedus, elle ne le prendrait pas pour rien toujours avec elle et l'Obélisque.
En m'en allant de chez maman et en fermant la porte je me donnai un coup à l'oreille, un coup tellement fort qu'il me fit pleurer, maman s'en alarma, je vins chez elle. Alors nous parlons de comment et où nous vivrons. Car je tâche de toutes mes forces de changer notre position qui est hideuse. Je pleure d'avance de rester à Nice, rien ne me désespère comme cette pensée !
Mon oreille me faisait mal et je pleurais.
- Mets quelque chose dessus, il y aura un bleu, l'oreille sera toute bleue, on ne peut rien y faire ! disait maman.
- Le bleu sera bien pour Nice et il ne faut rien de trop bien pour Nice ! lui répondis-je pleurant.
- *Nous resterons pas à Nice !
- Nous resterons, je vois cela, ce sera comme l'an dernier !*
C'est vraiment affreux de vivre à Nice toujours, toujours, toujours ! Trois mois à Nice sont possibles, mais toujours, c'est au-dessus de mes forces ! Je pleure ma triste existence tous les jours, tous les soirs, toute ma vie !
Je vieillirai si je pleure trop, mais ce n'est pas ma faute, je souffre, si je ne pleurais pas ce serait pire.
Mais assez de larmes, de souffrances et de douleurs, que je dise quelques bêtises pour me distraire.
Maman est fâchée pour Fedus, elle croit vraiment que cet homme me plaît, et elle le caricaturise et se moque de lui. Ils sont étranges ces gens-là, ils croient que Fedus me plaît parce qu'il me regarde !
D'ailleurs il va se marier, ça mettra désagréablement fin aux plaisanteries. Pourquoi dès qu'on me taquine avec un homme, cet homme se marie ? Qu'est-ce que ça me fait ?
Voilà encore un cahier de rempli et il n'en est que plus vide.
Je suis malheureuse depuis quelque temps; quand vivrai-je comme j'aime !
[Passage écrit sans doute antérieurement:]
- 1 - une poule pondant des œufs faits avec des glaces avec de la gelée dedans.
- 2 - une robe de bal en drap bleu foncé et tulle blanc.
[Pages ajoutées au cahier]
Il n'est pas encore arrivé. A la leçon j'ai dit son nom et j'ai rougi et je me suis tellement troublée que je me suis cachée derrière mon livre comme si je lisais. Ce nom agit fortement sur moi. Mais jamais dans ma vie ni autant je n'aimerai [quelqu'un] comme lui. Lui, seulement lui !. L'incomparable Hamilton.