Bashkirtseff

Mercredi, 11 mars 1874

Orig

# Mercredi, 11 mars 1874

Je suis dans un affreux état, mais commençons par hier. Allard me coiffe et je mets la robe blanche qui est vraiment très jolie. Nous partons, il y a musique et en passant je vis Lambertye près d'une voiture, il y a à la promenade plusieurs personnes qui devraient être là.

C'est une matinée dansante chez Howard.

En entrant, je vois presque toutes nos connaissances, mais il n'y a pas beaucoup de monde, il manque surtout des messieurs, il n'y a que des Tebbitt, des Barter et dans ce genre, cela ne suffit pas pour une grande matinée dansante. Il n'y a presque personne du monde élégant, seulement Mme d'Apletcheieff qui est entrée avec la Viennoise, qui à mon grand étonnement, est une demoiselle, je la croyais une veuve de six ans. Lewin, Woerman et le prince Tchetvertinski [russe : 13 lettres, français: 14 lettres], Mme Narichkine sa tante, Nervo et encore quelques personnes. Tous les Russes que nous connaissons et le reste des Anglaises et quelques Anglais.

On s'ennuyait assez, il n'y avait pas assez de danseurs, et les pauvres demoiselles mouraient d'ennui. La plupart du temps je restais dans le salon bleu où était le buffet et dans la petite chambre verte. Woerman ne me quittait presque pas. C'est dommage qu'il soit si bête, on ne sait pas de quoi causer avec lui; il ne comprend rien et avec ça tâche de faire de l'esprit et des calembours et des jeux de mots et je ne sais plus quoi. Je ne sais pas ce qu'il me veut; ses amabilités m'ennuyaient car la sorcière Youlia Stepanovna en passant me regarda tellement quand ce fou était à côté de moi.

J'étais debout avec Allen, il vint à moi, je m'assis et il s'assit aussi. Puis je me trouve dans l'autre salon, il est aussi là. Plusieurs fois je me suis en allée et plusieurs fois il m'a retrouvée. Il se venge de mon salut d'hier, le fait est que je le salue à peine, Dina dit que pas du tout.

Cette pauvre Mme Howard ne sait pas tenir son salon et ses enfants non plus.

Hélène, qui a presque dix-sept ans ne sait pas du tout se conduire ni conduire les autres.

On n'a pas présenté les messieurs aux dames de sorte qu'on se promenait regardant les uns les autres et voilà tout. Le chevalier Hidalgo, ancien ministre plénipotentiaire était obligé de supplier (son mot) Mme Apletcheïeff de le présenter à maman, lui qui ne cherchait que ça, qui la suivait comme une ombre depuis deux ans (toujours ses paroles et qui ne voulait pas partir de Nice sans avoir eu cet honneur, ce bonheur, etc. etc.)

Je croyais qu'on me présenterait le prince qui se promenait et me regardait, puis conférait avec le baron. C'est un jeune homme très comme il faut et de bonne maison.

[Rayé: Le résumé de cette mat.]

Je me suis promenée, j'étais assise, j'ai un peu dansé, comme tout le monde d'ailleurs. Conclusion: fort peu animé, peu de monde, un instant c'est-à-dire à la fin quand on a dansé le grand-papa, ça a paru un peu plus gai, il y eut plus d'entrain, mais dans une seconde je m'aperçus que non, c'était aussi tiède qu'au commencement. Ma tante chérie en feuille morte trônait et avec Nervo, voilà une paire ! la tante Tutcheff.

Les maîtres de la maison sont assez froids avec nous; je crois que c'est parce qu'il y a un mois qu'on n'était pas chez eux, tandis qu'ils viennent souvent chez nous.

Ma tante a aperçu cette froideur et est très en colère, moi aussi, tout le monde aussi.

Mania s'ennuyait plus que les autres.

J'ai prié maman de [Rayé: demander à] prier Mme Apletcheïeff de me faire faire la connaissance avec la Viennoise, puisque c'est une demoiselle. Elle me plaît cette jeune enfant; je lui dis que je la connais depuis longtemps, que je l'ai vue à l'Exposition, je lui rappelai même sa robe. Un jour la prenant pour Mme Beketoff je l'ai suivie quelques minutes. La première impression est bonne. Il n'y eut pas une âme qui n'admirât ma robe.

Mais aujourd'hui ! Voilà qui est affreux.

Nous étions à la villa avec Biasini où on m'ennuyait beaucoup. Après dîner je vins me coucher avec maman et comme toujours nous parlâmes de... comme toujours. Je pleurais et maman aussi, elle disait que j'ai raison. Qu'il n'y a plus d'existence possible pour nous, à Nice. Ces scènes sont toujours difficiles à décrire.

Hier Patton dit: - Allez au bal, sinon ils inventeront encore quelque chose sur vous. Maman eut l'extrême bêtise d'envoyer chez Lewin demander une invitation. Le soir seulement il répondit avec mille regrets que la liste était close. Je suis furieuse, maman est très blessée. Voilà donc ce qu'ils inventent ! Je pleurai. Mon Dieu, que d'humiliations, d'ennuis, de pleurs !

Ma tante qui avait conseillé d'envoyer chez Lewin était confuse, et finit par éclater contre moi, maman très énervée prit son parti et voilà que ça commence.

Fatiguée à la fin et révoltée je m'élance chez moi. Il est onze heures. Cette scène a duré de huit à onze heures. Je suis fatiguée et d'ailleurs c'est impossible de décrire toutes ces misères et les interventions des oncles et les furies dégoûtantes de Dina et tout !

Je sais qu'avec maman seule il n'y aurait jamais rien, parce qu'elle me comprend et elle n'est pas méchante. Nous avons parlé de vendre 55 et nous en aller à Naples, car à Nice il n'y a plus de salut pour nous !

Donne-moi des paroles pour exprimer combien je suis malheureuse !

Maman est si faible, si malade que... oh mon Dieu conservez-la !