Vendredi, 27 février 1874
# Vendredi, 27 février 1874
Est-ce que tout le monde est parti ? Est-ce que la saison est finie ? Est-ce que je dois m'ennuyer ? Est-ce que le Détroit n'existe plus ? Je vais à la Promenade, mais en vain, je n'y vois personne à peine quatre paysans et c'est tout. Hier, un jeudi, et il y avait si peu de monde, on voyait seulement deux dévergondés le prince Wittgenstein et le comte Michel Tichkevitch, suivis de leurs cocottes. Ah ! comment ne sont-ils pas honteux ! C'était dégoûtant à voir le prince et le comte (le comte est un très bel homme, le plus grand des grands, le seul qui conviendrait comme mari pour l'Obélisque, sa maîtresse est sèche, assez âgée, comme Rosalie Léon) et à quelques pas derrière eux les deux femmes. On dit que Wittgenstein est marié, mais ce n'est pas possible. C'est simplement un animal russe qui montre ce que tout le monde cache et qui brave tout le monde et ne se soucie de personne.
Aujourd'hui je sors avec Machenka. Il n'y a personne, excepté Wittgenstein seul, que j'ai entrevu. Il regarde toujours.
Hélène était venue de deux à trois. M. Howard de cinq à sept et Mme Howard encore plus tard. C'est notre jour. Les Anitchkoff, M. de Teplakoff, M. Abrial (cette horreur) jouent à la roulette avec Paul, Walitsky, Stiopa etc. Lorsque je rentre le salon est plein de fumée et a l'air d'un estaminet plus que d'un salon convenable. Qu'ils sont poussière et non curanti ! Je ne puis calmement supporter ces vulgarités.
Le soir M. Anitchkoff et Madame viennent et nous jouons tous, tranquillement et bien.
Je ne vois personne, je n'ai rien à dire. Je m'ennuie. Pauvre Dina a mangé un peu aujourd'hui, la première fois depuis deux jours.
Lambertye s'est caché sous terre, même lui ne se montre pas, lui qu'on voyait partout. Il faut dire que le temps est mauvais, couvert et une poussière et un vent considérables. Tout le monde n'a pas mes goûts.
Mais c'est embêtant qu'il n'y ait personne !
Mardi il sera décidé pour la villa, si elle ne nous reste pas nous partons pour Paris et alors même je ne saurai si je dois rire ou pleurer. Aller à Paris avec des affaires embrouillées n'est rien. Car vivre comme je n'aime pas à Paris sera plus affreux qu'à Nice où je suis habituée.
Comme ça je ne pourrai jamais bien me marier ! et non seulement cela mais ma vie de demoiselle, qui devrait être ma meilleure vie, sera détestable.
C'est adorable d'être une demoiselle comme j'aime, mais être une demoiselle comme je n'aime pas c'est la mort.
Si j'étais plus résignée je chercherais mieux Dieu et Il m'aiderait et me protégerait. Mais je suis une impardonnable révoltée.