Mercredi, 11 février 1874
# Mercredi, 11 février 1874
On me réveille en annonçant Allard. Je prends mon bain froid et vais au salon où ce petit homme se livre avec furie à une improvisation fantastique sur les têtes de maman, de Dina et de ma tante, cette dernière voilà deux fois qu'un substitut d'Allard pour gagner du temps, l'a coiffée. En vérité ce moujik coiffe très bien. Simone apporte les robes qui sont superbes.
Allard m'a très bien coiffée, je suis contente. Je mets ma robe bleue qui est charmante, je dis cela parce qu'à la représentation d' "Hernani" je l'avais et que maman m'a grondée indirectement; je pensais donc que cette robe est laide. Maman et ma tante ont des toilettes velours violet et faille jaune et dentelles, la tête couverte de fleurs artificielles mais faites admirablement.
Nous nous rendons à la maison de la fiancée, nous devions l'habiller mais elle est prête, je donne un dernier coup de main pourtant; elle est très jolie la pauvre petite. Mme Fedoroff la marraine de noce est déjà là, ensuite viennent les garçons d'honneur, MM. Berr, Woerman et Bashkirtseff puis Mme Howard avec Hélène et Lise en chiffons blancs.
Les jeunes filles et la fiancée restent dans une chambre à part, le reste au salon. Je devais attacher une fleur d'oranger au baron, j'avoue que je tremblais un peu en la lui passant dans
la boutonnière, c'est pour la première fois que je touche à la boutonnière d'un homme.
Le moment arrive, on bénit la fiancée et tout le monde va à l'église. Là nous trouvons une foule très considérable. Ceux qui sont de la noce sont au premier rang; à droite Mmes Koulichoff, Potemkine (la femme du frère du marié) la comtesse Tolstoï, du côté du fiancé. A gauche, [Rayé: Dina, moi] maman, ma tante, Mme Howard et nous les jeunes filles du côté de la mariée. Pauvre Dinette était très émue; je voudrais la marier.
Le baron est un misérable faible, il ne pouvait pas tenir pendant cinq minutes la couronne, mais Paul l'aidait continuellement. Berr tenait ferme. C'était un peu risible lorsque le prêtre mit la couronne sur la tête de Potemkine qui était laid, puis comme si, méprisant toute coquetterie il la plaça lourdement sur les fleurs d'oranger. Les garçons d'honneur se hâtèrent de les soutenir.
La cérémonie dura assez longtemps, de l'église on va chez M. et Mme Potemkine, beau-frère et belle-sœur des mariés. On prend du champagne. Après une centaine de toasts les jeunes filles et cette fois Mme Potemkine, se retirent dans la chambre voisine du salon, mais les garçons d'honneur y viennent aussi et nous emmènent au buffet, je vais avec le baron qui est fort galant et qui a daigné même m'apporter une poire et me tenir l'assiette tout le temps que je la mangeais. Près du buffet:
- Avec quoi pourrais-je vous adoucir, mademoiselle ?
- Une grappe de raisin.
- Seulement ?
- Seulement, mais ne trouvez-vous pas que je sois assez douce sans cela ?
- Il faut encore vous adoucir.
- Je suis si douce que ce serait de trop.
Il est très stupide, avec ce adoucir, il pensait faire tant d'esprit.
Aujourd'hui il était aimable, comme j'aime; c'est tout ce que je demande, je voudrais pouvoir décrire, l'agitation, le remue-ménage, la ribotte, les félicitations, surtout Potemkine, celui-ci est vraiment charmant. Un bon, joyeux, franc et tout ce qu'on veut, homme. Il a fini par être un peu gris et m'a baisé deux fois la main à la russe. Maman était très entourée; il y avait des jeunes gens, ou des hommes tous russes.
Hélène était encore tendre aujourd'hui, je crois savoir la cause de ces changements (bien) - (mal) cependant je n'étais pas (mal) aujourd'hui; peut-être je me trompe.
Il est à peu près quatre heures et demie, nous déshabillons la mariée pour lui mettre son costume de voyage. (Ils vont à Antibes en voiture). Dans un clin d'œil on l'a déshabillée, nous étions cinq à le faire, je faisais le plus de besogne. Je vais avec Katia (la mariée) et elle me raconte ses robes, et montre autant d'amitié qu'on peut en montrer une mariée. Sa sœur n'est pas aussi jolie qu'elle.
Katia étant entre moi et Hélène dit :
- Je suis madame et mademoiselle en même temps.
Hélène et moi, nous eûmes le bon sens de ne pas l'entendre. C'est amusant une noce. On ne peut pas croire combien j'aurais voulu marier Dina.
Je refuse de décrire tous les va-et-vient, tous les verres de champagne bus, tous les gais propos.
Enfin nous reconduisons les mariés jusqu'à leur voiture et Potemkine 1 dans la rue déjà tout gris, admirant mes cheveux les prit et les baisa, par bonté de son large cœur russe. Il y avait des spectateurs près de la sortie qui était couverte et semée de fleurs. Mes cheveux me parurent assez bêtes. Nous partons à notre tour mais pas pour Antibes...
C'était très amusant pour moi surtout qui vois pour la première fois une noce.
Mais une noce a toujours quelque chose de sale, on ne devrait pas y conduire des jeunes filles, surtout entendre ce que dit le prêtre.
C'est tout de même une drôle d'impression que produit une noce.
Le baron Potemkine 1, Azarevitch et Fedoroff nous firent monter en voiture. Toutes les dames et les demoiselles sortirent pour voir partir les mariés.
Ce mariage m'a fait penser au duc. Seulement je ne puis me le représenter fiancé. Triple miserere ! que je voudrais voir la duchesse de Hamilton ! Est-elle belle ! Cette question que je me répète du matin au soir.
Je suis bête de m'occuper de nuages; il vaut mieux penser à Dina ! (double miserere que je voudrais la marier !)
Berr est un jeune homme très bien, mais je crains qu'il ne soit à la deuxième Filimonoff. A la fin du service le Bec vint, ce Bec amoureux !