Samedi, 31 janvier 1874
# Samedi, 31 janvier 1874
Je monte à cheval, sans Dina, j'en suis bien aise, elle ne sait pas monter et ne fait que m'ennuyer. Je passe par la Promenade, mais le soleil est si fort que je ne pouvais pas voir les faces du détroit, alors je retourne à la maison, j'y reste quelques minutes me reposant et rafraîchissant à l'ombre des misérables arbres de la villa Baquis. Je ressors, cette fois je passe par toutes les petites ruelles imaginables, je voulais passer devant le balcon où peut-être est Khalkionoff, ce pauvre garçon mourant véritablement, il est sur le point de mourir, aucun espoir. Sa mère arrive bientôt, pauvre femme. Je voulais passer devant lui et le saluer, ça lui ferait un si grand plaisir à ce pauvre enfant, voilà je crois trois mois qu'il ne quitte pas sa chambre, mais je ne l'ai pas vu. De là je vais par la rue de France pour éviter le soleil et passé le pont Magnan je have a good galop, mais ce que nous appelons le grand galop je tourne à droite sous le railway bridge sous lequel l'écho est terrible, je défais mes cheveux que je laisse flotter car je sentais que, sous le chapeau, les peignes et les épingles dansaient. Le groom est ravi de mon grand galop.
J'arrive ainsi triomphante à la Promenade, le soleil dans le dos, qui ne m'ennuyait pas, mais au contraire dorait admirablement mes cheveux.
Je canter juste assez pour keep with the carriage et parler à Dina.
Les deux jeunes filles (Galve et Choupinski) sont à cheval.
Je disais que j'aime tout le monde, c'est-à-dire je n'aime personne, eh bien ces deux-là ont su me plaire. Mme Antonsky, comte Yorkoff, princesse Gagarine sont à pied, je m'arrête leur dire que maman reste chez elle le vendredi, quelques minutes je leur parle et enfin je rentre. Ce Rob Roy ne fait que canter,
but he canters well et j'y suis habituée et je vais très bien je pense (je m'aperçois de l'immense nombre de je que j'emploie mais je ne puis faire autrement). J'ai fiché Brunet. Ce matin j'ai fait une dissolution de je ne sais pas quoi, Joséphine a pris le verre, l'a porté à l'office et le sot Trifon a bu le quart de ce verre pensant que c'est du vin, heureusement ce n'était pas un poison violent.
Je suis contente de moi et de ma promenade. Je me propose de rire ce soir au Français. Le bénéfice de Ravel, un tas de nonsenses; il dirigera un orchestre, les acteurs placés parmi les spectateurs feront un scandale, etc. etc.
Je suis enrouée comme un cheval.
Je prends le vieux chiffon de cachemire bleu, je le mets, ceinture de cuir de Russie, (fichu blanc dentelles, joli; coiffée bien, figure bien, tout est bien). Des plus vils chiffons je sais toujours faire quelque chose, joli même quelquefois. Je suis très contente de moi ce soir; ouvert en cœur devant, sur mon blanc cou rien, comme d'habitude, les cheveux comme d'habitude; je les ai poudrés un tout petit peu pour les rendre plus vaporeux. Le théâtre est plein mais il n'y a personne. Ravel est charmant comme toujours, j'ai ri, mais la bouche fermée car il n'y avait personne et je m'ennuyais. C'est bête d'être bien quand il n'y a personne. Je rentre archi-fatiguée et reste une demi-heure sur la première chaise que je rencontre. J'ai mangé une mandarine, une orange et deux pommes, assise je pensais à prendre l'orange qui était sur la table, mais j'étais si paresseuse que je ne voulais pas étendre le bras; pendant que je délibérais Dina vient, prend l'orange. J'en suis contente car je puis partir.
Oh avec quel plaisir je me serais jetée sur le lit à l'instant, mais il faut me peigner, écrire, etc. etc.
Revenues du théâtre nous parlions de la saison cette année. Maman est de mon avis, il lui semble aussi que les courses étaient drôles, qu'elles semblaient non finies.
Hélas ! hélas ! hélas !
Que je suis bête.