Samedi, 17 janvier 1874
# Samedi, 17 janvier 1874
Il pleut. Je pense de ne pas aller à Monaco mais tout à coup je me souviens que le Tir prochain sera lundi et que lundi je ne sortirai pas, puisque nous avons cette matinée (robe brune, bien), plus je la mets plus je l'aime. Auguste n'est pas venu et nous allons à pied mais par bonheur un fiacre se rencontre. Tous les tireurs sont déjà à la gare rassemblés près des wagons (conspirateur), Lambertye y est aussi et me regarde, pour éviter cela je monte en voiture. Nous allons de Monaco à Monte-Carlo en voiture comme la dernière fois (en wagon, moi, maman, ma tante, Dina, Paul, Walitsky, Mme Anitchkoff et Yakovleff) nous déjeunons à l'hôtel de Paris.
Il pleut et je vais dans la salle, je joue par maman of course, jusqu'à deux heures. Ensuite nous, moi et Paul descendons, j'entre, il y avait un homme comme il faut devant moi, il m'a cédé sa place, il y avait aussi des gens abominables près de moi qui fumaient.
C'est un prix de douze mille cinq cents francs et un objet d'art de trois mille francs.
Je suis arrivée au deuxième tour et je partis à la fin du quatrième, il y en avait dix en tout.
Saint-Clair prit le premier prix, comme j'ai entendu. Je ne veux pas qu'on s'habitue à me voir, je ne reste que trois quarts d'heure au Tir, j'ôte le conspirateur, je m'approche de la barrière, il a cessé un instant de pleuvoir, je regarde et je sors majestueusement. Paul portait mon parapluie et conspirateur. Je joue par maman au trente et quarante, un louis, je gagne; nous visitons toutes les tables, près d'une je dis: Qu'est-ce que c'est que cet étrange tapis sur cette table, il ne ressemble pas aux autres. Mme Korsikoff qui était tout près m'a regardée puis a souri à maman; Mme de Galve habillée en petite fille joue à l'autre table, ce n'est qu'aujourd'hui que je découvre qu'elle a une figure plate et laide. Nous rencontrons encore Mme Korsikoff et le sourire se répète. J'ai gagné soixante francs. Miserere !
Pauvre comte de Galve; quelle vilaine femme il a. Lui, bien que âgé est encore le mieux à Monaco.
Ce cochon de Lambertye n'est pas venu du côté où j'étais, il n'a fait que regarder lorsque je sortais. C'est vrai que je suis restée très peu de temps, et qu'il était entouré de tireurs, mais tout de même...
A peine nous rentrons qu'on vient chez nous chercher Arson, sa mère est morte. C'est affreux !
A peine ai-je pu avaler quelque chose que je vais en ville avec Dina et Paul pour le cotillon, à peine je rentre que nous allons au théâtre, sans m'habiller, en conspirateur et chapeau.
Je voulais voir "Le Réveillon" par Ravel. Je pensais qu'on commencerait par cette pièce mais pas du tout, on nous a maltraité par "Lo Specchio Infernale".
"Le Réveillon" m'a plu. Gioia était dans sa loge, la même toilette bronze qu'à Monaco aujourd'hui. Elle était venue à quatre heures, elle était si belle, si belle, si belle que la respiration m'a manqué. Nous avons fait le tour de cette beauté, avec maman qui a dit à dîner: Je suis heureuse qu'Hamilton ne l'ait pas vue aujourd'hui.
Maman la trouve superbe, j'en suis bien aise.
Pourquoi le duc de Hamilton l'a abandonnée ? Elle est belle, belle comme une déesse et lui beau, beau comme un dieu. Mes deux idéals, mes deux perfections !
La Saxe était dans une loge au rez-de-chaussée à gauche. Cette femme est aussi belle, surtout ce soir elle avait l'air magnifique, la figure surtout. J'aime son air nonchalant, ivre, languissant et gaillard. Ce soir elle était splendide de figure, c'est une Phryné ou une Laïs, toujours de figure. Gioia est plus moderne, mais éblouissante, ébouriffante, incomparable, surtout de port, de manière, de taille.
Nous partons au commencement du dernier acte.
Aujourd'hui... j'allais dire que j'ai oublié le duc de Hamilton, mais juste en cet instant il me revient et mon cœur s'agite doucement.
Il n'est pas venu et ne viendra pas, j'espère. Dieu merci, car je serais bien à plaindre.
On a beau dire, il est un demi-dieu parmi les hommes.