Bashkirtseff

Samedi 8 février 1873

OrigCZ

# Samedi 8 février 1873

Tout à coup j'entends quelqu'un siffler derrière moi. C'était le duc. Il sifflait comme le premier soir où je l'ai vu à Bade. Il sifflait (même en écrivant cela, mon cœur bat).

Je me suis retournée, il m'a vue, alors j'ai rougi et mon cœur s'est mis à battre comme un marteau.

Il avait un habit dans le genre de celui de ma casaque, une chemise bleue, un chapeau marron. Il est resté un moment près de moi, jamais je n'avais imaginé un bonheur si grand !

Mon Dieu, faites qu'il reste toujours comme cela, tout au­près de moi. Je m'étais trompée lorsque de loin je l'avais cru gros. De près, il est très beau et comme sa voix est douce, sur­tout lorsqu'il parle le français, et comme sa figure est ma­jestueuse.

J'avais cru qu'il était roux (couleur que je déteste), pas du tout, ses cheveux ont la couleur des miens et gracieusement ondulés.

Ce que je voudrais maintenant, c'est qu'il sache que je l'aime.

Il a parlé à de belles dames, puis il est revenu de mon côté. Nos yeux de nouveau se sont rencontrés. Quel bonheur !

Un jour peut-être, si Dieu le veut, je serai sa femme; je lirai tout ce que je ne peux pas lire à présent derrière ce front qui m'impressionne. Je me souviendrai de mes sentiments, je m'en moquerai sans doute.

Ah ! mais non, c'est un bonheur trop grand. Et pourtant, si cela arrivait, si ma prière de tous les jours était exaucée !...

Je suis si heureuse de l'avoir vue et qu'il m'ait regardée que, malgré moi, j'espère.

Et pourtant, c'est triste à dire, je ne suis et je ne serai jamais sa femme !

Quand donc d'ailleurs, ai-je pu espérer une pareille folie ! (Mais quel bonheur profond pour moi d'écrire seulement mon bonheur d'aujourd'hui, sur des feuilles pour moi tout seule. Mon Dieu, encore une fois, écoutez-moi: qu'il sache ce que je veux !

Mon Dieu, ententends ma voix, exauce ma prière (c'est tendre et très gentil, ce que je dis là).