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C'est à Bade que j'ai compris le monde et l'élégance et que je fus torturée de vanité. Il y avait près du casino des groupes d'enfants, des groupes séparés. Je distinguai tout de suite le groupe chic et je n'eus plus qu'un rêve: en faire partie.
Ces enfants qui singeaient les grands nous remarquèrent et une petite fille qui s'appelait Berthe vint me parler. J'en fus si heureuse que je dis des bêtises et que tout le groupe se moqua outrageusement de moi. Berthe, âgée de douze ans, était anglaise et s'appellait Mlle Boyd. Elle avait plusieurs grandes sœurs ravissantes et tenant le haut du pavé à Bade. Elle était liée avec tous les enfants des familles aristocratiques qui connaissaient sa famille à elle. Les miens ne connaissaient personne et se vautraient de roulette et de trente-et-quarante. Berthe avait un amoureux âgé de treize ans et nommé Rémy de Gonzalès Moreno. Le père Gonzalès devint amoureux de maman et Rémy dérobait quelques instants à Berthe pour me faire de l'œil. Maman, libre d'allures, avait inspiré confiance au République-argentinais Gonzalès. Mme de Gonzalès en fut jalouse. Ici se place un trait presque incroyable de naïveté. Maman fit connaissance à la bonne franquette de Mme de Gonzalès qui se montra très - froide. Mais maman redoubla d'amabilité pensant que la femme ne pouvait être autrement disposée que le mari qui était si charmant pour elle. Et quand les Gonzalès partirent maman alla à la gare; la dame lui disait d'un air très pincé, que je voyais bien moi, qu'elle était confuse de priver maman de sa promenade par un si beau temps. Et maman lui répondait que ça lui faisait plaisir de reconduire de si charmantes personnes.
Quand j'y pense à présent, me souvenant des mines et des intonations, c'est épatant. Le père Gonzalès en était étonné et fier car il s'attribuait quelques succès. Il a fini, cet homme après de rudes étonnements par comprendre maman et par devenir notre ami.
La guerre nous chassa à Genève.