Bashkirtseff

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OrigCZ

Enfin après bien des larmes et des sanglots, la pauvre enfant finit par gémir qu'elle ne pourrait jamais, non jamais. Et des pleurs. Mais pourquoi ? Tout le monde était là avec des exhortations affectueuses. Parce que... Parce que je ne puis pas m'habituer à sa figure I Le fiancé entendait tout cela du salon. Une heure après il bouclait sa malle en l'arrosant de larmes et partait. C'était le dix-septième mariage manqué.

Je me rappelle si bien de ce "je ne peux m'habituer à sa figure !" Ça partait tellement du cœur que je compris alors même très bien que ce serait vraiment horrible d'épouser un homme à la figure duquel on ne peut s'habituer.

Tout cela nous amène à Bade en 1870. La guerre étant déclarée, nous avons filé sur Genève. Moi, le cœur rempli d'amertume et de projets de revanches. Tous les soirs avant de me coucher, je récitais tout bas cette prière supplémentaire: "Mon Dieu, faites que je sois amie avec Berthe et que j'aie des cavaliers qui me fassent la cour". Toute la prière était ainsi conçue d'abord le Pater, l'Ave, etc. puis ceci:

- Mon Dieu, faites que je n'aie jamais la petite vérole, que je sois jolie, que j'aie une belle voix, que je sois heureuse en ménage et que maman vive longtemps.

J'étais encore sous l'impression de la mort de grand- maman que j'aimais beaucoup, beaucoup, et qui passait des heures à me dire que j'étais divine et à me donner les noms les plus tendres et les plus fous.

Pauvre grand-maman, si elle n'avait que moi, mais il y avait cette canaille de Georges qu'elle s'est toujours obstinée à regarder comme un "malheureux enfant" et qu'elle a légué à maman qui a cru dès lors obéir aux vœux de sa mère mourante en sacrifiant sa réputation, sa vie et ses enfants aux monstruosités de cet être ignoble. On était très familial chez nous pour Georges, les autres frères quittaient tout et faisaient quelquefois quatre à cinq cents lieues en chaise de poste pour Georges, ses sœurs sont allées dans les prisons, dans les endroits de police pour Georges, on a trinqué et mangé avec des gendarmes afin qu'ils lui soient plus doux... Pouah...

A Genève, nous avons logé à l'hôtel de la Couronne au bord du lac, c'était charmant.

On m'a donné un professeur de dessin qui a apporté des modèles à copier. De petits chalets où les fenêtres étaient dessinées commes des troncs d'arbres et qui ne ressemblaient pas aux vraies fenêtres des vrais chalets. Aussi je n'en ai pas voulu, ne comprenant pas qu'une fenêtre soit faite ainsi. Alors le vieux bonhomme m'a dit de copier la vue de la fenêtre tout bonnement d'après nature. A ce moment nous avions quitté l'hôtel de la Couronne pour loger dans une pension de famille, pension Huberkoller, et le Mont Blanc était en face de nous. J'ai donc copié scrupuleusement ce que je voyais de Genève et du lac et cela en est resté là, je ne sais plus pourquoi.

A Bade, on avait eu le temps de faire faire nos portraits d'après des photographies et ces portraits m'ont paru laids et léchés dans leur effort d'être jolis.

Maman rencontra un M. Bachmakoff qui était venu placer le petit Chtcherbine dans un pensionnat célèbre de Genève, celui du docteur Hactius. Le petit garçon était le fils de sa bonne amie qui l'a épousé, sitôt son veuvage. On s'est rencontré à l'église et M. Bachmakoff, avec sa grâce d'homme de cour, fut très aimable, se souvenant de maman jeune fille à Poltava où il avait été vice-gouverneur.