Bashkirtseff

%%2025-12-07T18:30:00 LAN: "bains de mer" - fashionable seaside resorts, NOT merely "sea baths"; carries connotation of upper-class leisure travel%%

OrigCZ

Moi, j'étais toujours avec grand-maman qui m'idolâtrait, à la campagne. Maman allait aux bains de mer en Crimée, on lui faisait la cour mais elle était sage tout en se compromettant. C'est que, vous autres, vous n'avez pas idée de ces choses. Maman élevée à la campagne ne connaissait rien des sociétés organisées. Elle n'a jamais compris qu'il fallait tenir un cer­tain rang, oh ! jamais. Et, avec cela, très vaniteuse. En dehors de la petite société de Poltava, elle ne connaissait rien. Lâchée à Pétersbourg ou aux bains de mer sa beauté faisait sensation, on lui faisait la cour et elle se contentait de ça sans songer à aller dans le monde. Du reste, ici, une femme comme il faut qui ne va pas dans le monde et qui fait parler d'elle est une déclassée, là pas du tout, cette belle personne arrivée du fond de sa province était un cas habituel et ne choquant personne. Quand vous me lirez plus loin vous verrez que je ne défends pas maman et que je ne suis guidée que par le désir de dire les choses véridiquement.

Avec grand-maman, il y avait pour m'adorer ma tante, lorsque maman ne l'emmenait pas avec elle. Ma tante, plus jeune que maman, mais pas jolie, restant sacrifiée et se sacrifiant à tout le monde.

Mon père et mon grand-père le général ont fait cent tenta­tives pour ravoir maman. Une fois que Paul et moi avions été menés voir notre père, il nous a enlevés et cachés à la campagne pour forcer maman à revenir. Mais quand maman et les frères sont accourus et nous ont repris de force, je me rappelle parfaitement la scène dans le pavillon jaune à Gavronzi. Paul et moi étions dans une chambre, grand-maman dans une autre et mon père dans une troisième, séparée des autres par un corridor qui coupe en deux le pavillon. Grand- maman furieuse, comme une femme dont la vie se passait à crier après ses domestiques, vociférait des injures. Et mon père intimidé lui répondait sans se montrer, et je me souviens même qu'il est resté tout le temps respectueux relativement. Depuis j'ai pensé que c'était par répugnance de scènes grossières, car ma nature a beaucoup de la sienne. Donc on nous [a] ramenés chez grand-papa et grand-maman et maman. Et les histoires de Georges allaient leur train.

Vers 1866 ou 1867 Domenica, la femme de ce misérable, a obtenu un changement de ville d'exil et, de Viatka, on a trans­porté ce cher trésor à Akhtyrka, un trou où il y a des reliques et où on va en pèlerinage. Là ce monstre régnait et commandait et parfois s'amusait à venir lire des livres horribles à Mme Brenne, mon institutrice française. J'écoutais ça et je compre­nais, mais sans que ça me fasse penser à rien pour moi.