Dimanche 25 mars 1883
# Dimanche 25 mars 1883
Depuis hier deux heures je suis dans des transes qu'on comprendra lorsque j'aurai dit pourquoi Villevielle vient me voir et demande si j'ai des nouvelles du Salon. Mais non. Comment vous ne savez rien ? Rien. Mais vous avez passé. Je n'en savais rien. Sans doute puisqu'on est à la lettre C.
Et voilà tout. J'écris avec peine, les mains me tremblent, je me sens comme désorganisée, en morceaux, en loques.
Puis arrive Alice qui dit: vous êtes reçue.
Reçue. Comment ? Sans numéro.
On n'en sait rien encore. Je ne doutais pas de mon admission.
Mademoiselle de Villevieille ne vous a rien dit ? Je répète les paroles de Villevieille. Seulement ? Seulement c'est M. Julian qui lui a annoncé que vous êtes reçue. Alice a entendu ceci:
- - Mlle Marie est reçue.
- - Le pastel aussi ?
- - Non mais la tête d'irma.
Et ils échangèrent quelques mots pas entendus, sans doute pour expliquer quelle tête d'irma, car personne ne savait ce deuxième envoi. Pour ce qui est du pastel il ne peut en être encore question, il faut d'abord que tous les tableaux à l'huile aient passé, jusqu'au L. Et alors...
Si la tête d'irma était la seule ? Ce serait [Mot noirci: un four] diabolique et [Mot noirci: Non.] Sentez-vous le coup ?
Dès que l'imagination franchit certaines limites tout paraît possible.
Et avec ça maman, ma tante, tout le monde est dans une inquiétude qui m'agace au suprême degré. J'ai fait de grands efforts pour être comme à l'ordinaire et recevoir le monde.
M. Laporte est venu mais je m'habillais...
A dîner les Engelhardt, Bojidar, la princesse, Alice.
Je m'amuse à donner des mots en age pour chanter Bastien-Lepage... Cela me sauve de la prostration-
Rosalie a un air si drôle. Et quand je lui demande ce quelle a, elle a l'air, pour un peu elle pleurerait. Et je n'ose rien demander. Alice passe la nuit ici, je lui arrange un lit dans ma chambre et nous causons de Bastien jusqu'à une heure. Chaque nouveau mot en âge faisait que je rallumais la bougie pour l'inscrire, nous en avons plus de cent cinquante... C'est égal... J'ai télégraphié hier à Julian et n'ai pas encore de réponse, et il est trois heures de l'après-midi... Et je ne sais rien. Et c'est...
J'ai envoyé une autre dépêche et cinq minutes après j'ai reçu un mot de Julian que je copie textuellement:
"Ô naïveté, ô sublime ignorance. Je vais enfin vous dissiper: reçue avec n° 3 ! Au moins, car je connais quelqu'un qui voulait un n° 2 pour vous. Et maintenant vainqueur. Salut et Félicitations."
Ce n'est pas une joie, mais c'est la tranquillité. Je ne crois pas en le n° 1, lui-même pourrait me faire plaisir après ces vingt-quatre heures d'humiliantes inquiétudes.