Bashkirtseff

Dimanche 11 mars 1883

Orig

# Dimanche 11 mars 1883

Ce soir mon père est parti ! Quelle chance. Avec sa sœur et avec Paul. Ces gens-là sont de sales gens ou à peu près.

Savez-vous qu'ils ont pris des premières classes pour eux et une deuxième pour Paul ? Qu'en dites-vous ? C'est une lueur.

Du reste la conduite de ce monsieur ici a été extraordinaire. Quant à Paul c'est un brave garçon que sa femme rend bien malheureux. Mais ce monsieur mon père... Il s'est conduit comme un bienfaiteur peu délicat et s'il y a quelqu'un qui puisse jouer le rôle de bienfaiteur, ce n'est certes pas lui. Fortune et santé détruites, caractère insupportable et retrouver tout à coup une famille attentive, aimable, gracieuse... Car on a été aux petits soins auprès de lui. Et lorsqu'il a vu tout ça il s'est dit qu'on pouvait s'asseoir sur tout le monde.

C'est-à-dire ! Non ! Il y a des choses dans la vie ! Jusqu'à présent il n'avait jamais vu du monde propre uni, un salon élégant. C'est nous qui... l'avons fait entrer chez les gens que nous connaissons ici. Jusqu'à Paris il s'était contenté des trois ivrognes et six bourgeoises de Poltava... Et c'est lui qui tranche !... Il a mangé plus d'un million et n'a pas su se créer des relations nulle part sauf l'ignoble Poltava et...

Et lorsqu'il a vu ici qu'on ne pouvait pas crier contre moi ça a été des rages folles auxquelles j'ai répondu par le plus magnifique dédain. Du reste depuis le jour où il a élevé la voix contre moi et a été grossier tout est fini. Je suis rentrée dans sa chambre le croyant mourant, mais tout est bien fini. Il n'a rien fait pour se faire aimer ou respecter ni moralement ni matériellement. Rien. Et je me serais pliée aux insolences de ce monsieur.