Bashkirtseff

Lundi 26 février 1883

Orig

# Lundi 26 février 1883

La princesse Eristoff et Paul sont arrivés ce matin de Russie, appelés par une dépêche de moi, car mon père est très malade, mais il va un peu mieux je crois, enfin il n'y a pas de danger sérieux.

Nous avons le prêtre russe et l'architecte à dîner. Je suis en veine de dire des folies toute la soirée, c'est un flot de gamineries et d'enfantillages à propos du vrai Bastien; des accusations, des inventions, des mépris et des louanges; cet excellent Emile gobe tout. Il monte à l'arbre avec facilité étonnante. Il est parti ahuri et abruti, je suis restée bien deux heures dans un grand fauteuil à le blaguer abominablement, c'est que c'est très amusant quelqu'un qui prend tout au sérieux. Il n'a pas d'esprit ce garçon. Mais honnête et loyal !

Ah ! tout plein. Comme il se faisait près de onze heures nous nous sommes isolés, Dina, moi et lui et je l'ai fait parler sur Cartwright et compagnie. Enfin il dit que si alors il nous connaissait comme maintenant il m'aurait prise par les épaules et mise dehors, de ce salon... Qui n'a rien d'un salon, où l'on coudoie... Où il n'y a pas un bibelot d'art qui ne soit un souvenir honteux. Pendant une éclaircie de sérieux je me suis plainte amèrement des ennuis que nous avons eu à propos de Bastien. Enfin, pourquoi, à quel propos, pourquoi, pourquoi, pourquoi ?

Comme il est impossible de dire certaines choses, il dit que cela tient uniquement à l'endroit où nous nous sommes rencontrés.

Que ces femmes... N'auraient jamais dû me connaître etc.

Enfin, nous ne pouvons nous expliquer mieux. Seulement il a laissé échapper un sourire. Mais je me plains surtout de ce qu'il se soit imaginé, lui le vrai que nous sommes assez rastaquouères pour désirer d'en orner nos soirées etc.