Jeudi 4 janvier 1 883
# Jeudi 4 janvier 1 883
J'ai vu Julian qui avait dans sa poche l'article de Pelletan qui m'avait tellement émue pour me le montrer. Il me dit que je ne ferai jamais de passion véritable (en parlant de Gambetta et de cette femme) que je ne suis pas assez femme, presque la tirade de Claude Vignon à Camille Maupin (voir Beatrix de Balzac). Enfin je ne suis pourtant pas supérieure au point de... Les tireuses de cartes me l'ont dit. Du reste ce monstre de Julian me console en disant que [Mots noircis: en revanche j'aurai tous] les hommes et que ma cour sera toujours nombreuse car en somme je suis charmante, spirituelle, originale... Mais pas la fibre sensible... Enfin on m'adorera sans m'aimer et peut-être des êtres ordinaires qui prendront pour du vrai toutes mes émotions en strass... Il ne me comprend pas cet homme ou c'est moi qui me juge mal... ou au fait c'est possible... Il a raison, mes larmes, mes agitations, mes tirades tout cela c'est poser le public... Je n'en ressents pas moins tout ce que je ressents... Il dit que c'est à la surface... C'est possible. Enfin... Ces journaux me font un effet terrible. On a amené le cercueil au Palais, c'est le Président de la chambre qui l'a reçu.
Je vous remercie de l'avoir amené ici - dit-il à Spuller en fondant en larmes. Et moi de pleurer. L'austère, le grave, le simple Brisson qui n'était pas son ami. Je vous remercie de l'avoir amené ici: Il y a là une émotion réelle que ne donnera jamais aucune comédie. Et les journaux avec leur grand orateur, illustre, orateur, génie, souffle puissant, tête léonine... Je suis remuée, énervée, presque malade... Et encore Brisson qui dit qu'il n'aura peut-être jamais le courage de parler sur cette mort épouvantable... A quarante-quatre ans. Il y a cinq jours encore !...
On passe la soirée à écrire des invitations pour le 12.
Je suis tout à fait comme si cette mort m'avait brisée... Nous n'avons pas pu entrer, après avoir fait queue pendant deux heures.
La foule a été assez respectueuse pourtant si l'on prend en considération le caractère français, la presse, les coups de coude, les conversations engagées, la tentation perpétuelle de faire de l'esprit à propos de tout; les drôleries inévitables dans une cohue pareille.