Bashkirtseff

Dimanche 31 décembre 1882

Orig

# Dimanche 31 décembre 1882

Il fait trop sombre pour peindre, nous allons à l'église, de là chez les Gavini ou nous trouvons Géry. Géry auquel nous avons donné une cruche en argent en souvenir de Misé-Brun et qui a envoyé une très grosse boîte de bonbons ainsi que M. de Morgan. Saint Amand a donné son portrait encadré et puis je crois que c'est tout. Voilà six mois que nous n'avons donné signe de vie, avec ce déménagement on ne sait seulement pas si nous existons encore dans ce Paris.

Et puis nous allons revoir l'exposition de la rue de Sèze. Bastien, Saint Marceaux et Cazin. C'est pour la première fois que je vois de la peinture de Cazin et je suis conquise, c'est de la poésie mais le soir au village de Bastien ne le cède en rien à ce poète de profession appelé Cazin, et notez que Bastien a été souvent flétri du titre d'exécutant de 1 er ordre.

Là je passe une heure précieuse, voilà des jouissances. Mlle de Villevieille qui est venue me voir hier a raison, on n'a jamais fait de la sculpture comme Saint Marceaux. Les mots si souvent employés et devenus banaux: c'est vivant sont là d'une vérité absolue. Et en outre de cette qualité maîtresse, et qui suffit pour rendre heureux un artiste, il y a là une profondeur de pensée, une intensité de sentiment, un je ne sais quoi de mystérieux qui ne fait pas de Saint Marceaux un homme d'un immense talent, mais qui en font un artiste de génie.

Seulement il est jeune encore et il est vivant, voilà pourquoi j'ai l'air d'exagérer. Par moments je le placerais au dessus de Bastien.

C'est une idée fixe à présent, il me faut un tableau de l'un et une statue de l'autre. Le gamin de l'année dernière, intitulé "Pas mèche".