Bashkirtseff

Dimanche 3 décembre 1882

Orig

# Dimanche 3 décembre 1882

Il neige. Tout ce mois-ci va être horriblement noir, je voudrais bien être dans le midi. Mais c'est impossible.

J'ai la bêtise de laisser échapper ce souhait devant Dina... Et ma famille parle déjà de voyager, ce qui m'en dégoûte aussitôt.

Chez eux c'est cette préoccupation de maladie malgré que je sois devenue ronde et surtout le bonheur de se prélasser tout le temps à Monaco. Et ces mêmes considérations qui les charment me répugnent.

Encore voyager, encore perte de temps, installations... Que sais-je. Cela sent par avance une lassitude à pleurer et j'en suis exaspérée comme si je sentais que je serai obligée de partir...

Ces gens-là sont insupportables et malgré moi je songe toujours aux conversations du "Roman chez la postière" en les écoutant. Je ne puis leur parler que sur un ton dur qui choque à bon droit les étrangers quand cela m'échappe, et hier mon père s'est mis à crier contre moi exaspéré par ma façon méprisante et dure [Mots noircis: de parler] à maman et à ma tante. [Mots noircis: Mais comme je n'admets pas qu'on] élève la voix en me parlant je le lui dis avec un calme ravissant.

Je m'adore quand je prends cet air tranquille et doux pour rappeler les gens à l'ordre. Alors il est sorti de table. Cette idée de croire qu'on peut crier après moi, je ne m'en suis même pas fâchée tellement cela m'a paru fou.

Si j'ai l'air dur c'est que je ne suis plus à rien sauf à cette vaniteuse préoccupation de travail. Ce calme que signale Julian n'est que du détachement et de la préoccupation. Il n'y a plus rien que le désir insensé d'arriver... Pourvu que selon l'habitude je ne m'éparpille pas en route.