Samedi 18 novembre 1882
# Samedi 18 novembre 1882
Mais Mon Dieu pourquoi tout à coup cette chose épouvantable, affreuse, atroce ? Pourquoi pas une jambe cassée, ou une dent ou même est-ce que je sais. Pourquoi cela ?
Je n'y crois pas encore.
Nous avons été chez les Gavini, toujours mêmes amitiés, mêmes conversations, on meurt d'ennui à Paris, il n'y a personne etc. Dans six semaines on s'amusera beaucoup et l'année prochaine en novembre elle va de nouveau dire, que c'est une calamité, que cette année on ne voit personne etc., jusqu'à ce que les salons se rouvriront de nouveau.
J'ai aussi vu Julian mais pas longtemps, il a eu pourtant le temps de parler du grand bonapartiste et je lui ai demandé ce qu'il reçoit par mois pour entretenir cette flamme dans mon cœur.
Mme Gavini est venue, papa est très malade et j'ai vu Tony et le portrait.
Je le trouve mauvais ce portrait. Ce n'est pas moi, ce n'est pas mon expression ni ma bouche, ni mon teint. Je ne suis pas si pâle, j'ai les yeux beaucoup plus vifs et la bouche infiniment plus enfantine, quant au nez il m'a fait des arêtes et des duretés entre les yeux que je n'ai pas. Toute ma figure enfin est trop délayée, malgré cette dureté déplacée du nez, et la pose n'est pas de moi, je ne suis jamais si raide que ça et je n'ai jamais eu les joues soufflées comme ça ni les cheveux aussi bien peignés.
Enfin, pourvu que ma famille le trouve bien, car c'est quatre mille francs... à payer.
Je ne dis rien de ce que j'en pense, au contraire je tâche d'admirer, mais ce soir en face du portrait cela m'a été impossible. Enfin, ce ne serait pas ressemblant, ce serait embelli ou enlaidi, mais ça aurait pu être une jolie chose, une peinture bonne à voir, enfin une œuvre d'art agréable (j'entends par agréable non pas doux, maniéré et bourgeois, mais tout ce qui est agréable aux yeux de gens intelligents, enfin une bonne chose). Et ce n'est pas cela.
Tout est travaillé jusqu'à épuisement, tout est affadi...