Mercredi 15 novembre 1882
# Mercredi 15 novembre 1882
Je suis à Paris ! Nous sommes partis jeudi soir. Nicolas et Michka nous ont accompagnés jusqu'à la première station et Paul et sa femme jusqu'à Harkoff.
Nous sommes restés vingt quatre heures à Kiew et Julie (la fille d'Alexandre) est à l'institut. Elle a quatorze ans, elle est charmante.
Le voyage a été égayé par des commentaires et inventions sur les Kotchoubey, c'est-à-dire sur le cadet qui s'appelle Basile et cela me fait rire.
Et sur Alexandra, la femme de Paul. Nous l'appelons Alexandra parce que Basile lui a baisé la main... C'est-à-dire, voici Dina causait avec Basile et Mme Paul est venue se planter devant lui et à brûlé [son] pourpoint: moi je suis froide comme un marbre !
- - Pourquoi donc madame, pourquoi donc ?
- - Je n'ai jamais aimé ! (les yeux au ciel).
- - Ah ! bah !
- - Jamais ! (soupir)
- - Alors [Mots noircis: vous savez les outrances] de la vie, il faut que je vous les explique... Lui blagueur et elle sentimentale et flattée. En prenant congé il lui a baisé la main. Mais il n'y avait rien là, seulement comme nous étions entrain de plaindre Paul, car il est bien à plaindre, et à énumérer les défauts de sa femme, quelqu'un a parlé de sa vanité et de sa bêtise de bourgeoise et alors moi je crois j'ai dit qu'elle se croit duchesse et qu'elle se dit: pourquoi me suis-je dépêchée, j'aurais pu épouser un Kotchoubey. Je suis sûre qu'elle se le dit bien que sans nous elle n'aurait seulement pas vu la livrée de leurs domestiques. Alors maman s'est mise à dire que dans ce monde il n'arrive que des choses folles et à citer tous les grands seigneurs et tous les richards qui ont épousé des femmes divorcées et ordinaires et bêtes etc. etc. Vous connaissez maman. Ça se passait en wagon et je me suis amusée et en faire une scie de sorte que le troisième jour nous avons commencé à croire que c'est arrivé et à nous rassurer mutuellement comme s'il y avait danger. Je vous en parle pour en venir à ceci que ce pauvre Paul a fait un fichu mariage. Tout ce qu'elle a, c'est une jolie figure et pas quand elle parle car les dents sont affreuses et il en manque une ou deux sur le devant. La poitrine pend jusqu'au ventre et les doigts sont si courts qu'il n'y a pas eu de place pour les ongles que le Bon Dieu a escamotés presque entièrement. Vous voyez, voilà ma jalousie de Basile qui perce.
Voilà pour le physique, quant au moral elle est bête, vaine, orgueilleuse et fausse. Maman ajoute qu'elle est méchante, je ne le sais pas, mais pour les autres choses je n'en doute pas. Tirée de la bourgeoisie, de la crasse provinciale par Paul, elle croit que tout cela lui est dû et cache une vanité de sotte et d'ignorante sous des dehors mielleux. Elle me baise les mains [Mots noircis:et se croit] ma supérieure en tout. Paul a force d'amour lui a fait croire qu'elle ne peut vivre qu'à Paris et qu'elle n'a jamais été dans le monde de Poltava, il le croit lui-même, comme Bojidar croyait à la virginité de Sarah Bernhardt dont le fils a été à l'école avec lui. Enfin... Elle ne l'aime pas du tout. L'autre jour elle lui a fait une scène parce qu'il est venu la réveiller à deux heures du matin pour lui raconter comment nous avions passé la journée à Poltava. Et elle s'en est plainte à moi qui lui ai répondu très amicalement que ce n'était vraiment pas si atroce que ça et que nous nous étions amusés; qu'elle n'avait pas été là, Paul a voulu tout de suite partager ces bonnes impressions, que je trouvais cela gentil et aimable, à quoi elle m'a répondu que j'en parlais bien à mon aise.
- - Qu'auriez vous dit, vous à ma place, tenez j'irai vous réveiller la nuit prochaine et nous verrons comment vous me recevrez me dit-elle.
- - Mais ma chère tu n'es pas mon mari toi !
Elle est bête. Et elle se croit belle avec ses mauvaises dents et son éternelle cigarette; des cigarettes très longues qu'elle fume sans chic. Mais là-bas à Poltava on ne voit que sa jolie figure. Quant à Basile et je suis comme ces deux menteurs de Marseille qui voyant courir tout le monde vont à leur tour voir si vraiment le port est bouché par la baleine... Donc... (j'y tiens) donc si Basile fait seulement un signe, Paul sera le plus heureux des maris.