Mardi 18 juillet 1882
# Mardi 18 juillet 1882
Fin de la tête d'irma. Emile Bastien vient au milieu de la séance qui est suspendue alors pour prendre du thé et causer au jardin.
Vers sept heures arrivent Tony et Julian. Grands compliments pour la tête, c'est gras, c'est souple, c'est d'un ton fin, c'est très bien. Enfin vous êtes sortie des sécheresses. C'est reposé, ajoute Julian... C'est comme si on donnait cinq cents francs à un pauvre.
Seulement il y a un orage pendant le dîner. Dina remplit continuellement les assiettes et les verres et assassine Julian de: vous ne mangez rien, vous ne buvez pas. Enfin ce pauvre Julian est tout à fait gris.
Heureusement, tout s'es bien passé, heureusement il a été parfaitement convenable, mais il aurait pu échapper un mot et alors... Combien de fois ai-je dit que ces insistances de mauvais goût, de paysan qui veut griser un compère, ne sont pas de l'amabilité; c'est inconvenant, ridicule...
Que voulez-vous, cette fille-là est d'une couleur ravissante, elle a des cheveux merveilleux, un type intéressant, elle est bonne... Mais quand elle veut être gracieuse elle a quelque chose de lascif qui m'horripile et puis ce manque de mesure en tout !... Tony n'a pas perdu son sang-froid, ou au moins il a eu l'air comme à l'ordinaire. Toutefois j'ai attendu minuit pour lui montrer les esquisses de mon tableau.
L'impression est très bonne. C'est profondément senti, dit-il. Seulement il faudrait que je change l'attitude de la femme du second plan et ce qu'il conseille est théâtral et académique. Aussi bien dans ces choses-là on ne peut écouter personne. Ce que je demande c'est des conseils pour l'exécution qui présente les plus grandes difficultés. Saisir l'effet du soir et travailler en plein air sur cette immense toile : 3 m 27 de haut, sur 2 m 50 de largeur.
Je suis fâchée d'avoir eu à en parler après dîner, cela peut enlever de la valeur aux bonnes choses dites, pourtant non, Tony est excessivement consciencieux.
Ce vieux farceur vient de passer trois jours à Fontainebleau avec Reine, je le sais par Irma. Il paraît qu'il s'attache à ces petites drôlesses comme un vieillard.
Il faudra sans doute faire le tableau en Algérie, car à Jérusalem il n'y aurait aucune facilité d'installation. Il paraît que cela peut être empoignant, que c'es très beau à faire... Mais Tony a des idées à la Tony.