Bashkirtseff

Mercredi 5 juillet 1882

Orig

# Mercredi 5 juillet 1882

Ma colère est calmée et maman est sortie hier de sa chambre devant Saint Amand. Elle a été à Cologne vingt quatre heures. Mon horrible billet à mon père est arrivé, il répond par dépêche qu'il ne m'avait pas priée de lui expliquer rien. Enfin tout cela est détestable. J'ai dit hier très tranquillement son fait à madame. Tout est fini entre nous; je l'ai aussi prévenue qu'elle ne serait peut-être pas bien reçue en Russie... Si elle y allait tout s'expliquerait c'est évident mais je dis cela par méchanceté; du reste elle ne sait pas ce que j'ai inventé.

Et convenez que c'est monstrueux ma lettre... Du reste depuis quatre jours j'ai dit des choses si infâmes d'elle et à elle hier...

Aussi en la sentant très malheureuse je deviens très calme et trouve que je vais trop loin... Je raisonne comme ça parce que c'est passé mais il y a quatre jours... Ah ! quelle abomination... Et vraiment nous ne méritons rien... Car depuis qu'il n'y a pas de malheurs nous nous en faisons nous-mêmes... Maintenant maman et moi nous nous verrons comme par le passé mais... Du reste il y a longtemps que tout est fini, il y a peut-être un an que je l'ai embrassée et si nous nous embrassions cela paraissait étrange à force de ne se dire que des choses désagréables...

Lorsque je venais parler de quelque chose cela dégénérait tout de suite en querelle et ce n'était pas toujours ma faute. Ainsi lorsque je me plaignais de quelque chose au lieu de chercher ensemble à améliorer notre sort... On répondait que je ne cherchais que des motifs à querelle, que j'éprouve le besoin de rager et que je ne sais pas ce que je veux. Avec ces trois propositions on m'enrageait en effet car cela revenait à propos de tout comme une rengaine.

On croyait ainsi éviter des conversations ennuyeuses et on faisait pis. Et les aigreurs et... Enfin que voulez-vous que je dise. C'est bien ennuyeux tout cela et bien triste. J'en suis arrivée à répondre durement même lorsqu'on me demande les choses les plus simples, bref on n'échange plus une parole comme tout le monde et si l'on cause quelquefois c'est toujours sur des sujets étrangers, des visites, des gens qu'on a vu... Et c'est encore miracle. Ou bien on se dispute sans cause, sans raison, comme des idiots. On voit, des aigreurs ou des pièges à santé dans tout... Enfin, c'est un enfer, mais heureusement j'ai des occupations.