Bashkirtseff

Samedi 3 juin 1882

Orig

# Samedi 3 juin 1882

Bal villageois chez la baronne de Cambourg. Il paraît que le monde y est très bien.

Nous verrons. Je vais être en gardeuse de dindons de Grévin. Jupe rayée blanc et bleu, bonnet en toile, tablier avec une poche au milieu; chemise passant sous un corselet bleu. Très drôle.

J'ai eu du succès mais c'est encore une autre société, on ne peut s'amuser qu'en retrouvant ses danseurs. J'ai dû refuser plusieurs, je ressemblais à Théo. Et puis il fait trop chaud, je m'étais endormie avant d'y aller... Dans la journée nous avons eu la visite de Carolus qui a vu mes peintures et que j'ai été surprise de trouver d'un excellent conseil, il a promis de me faire pleurer; il n'y arrivera pas, je [Mots noircis: plonge à] sec sur mon travail. Du reste il est enchanté du grand pastel de Dina et plusieurs choses sont bonnes en peinture parait-il.

Le concours est jugé, c'est une plaisanterie, il n'y en a que deux de classés et les plus mauvais. Pas de médaille... Je crois que les professeurs se moquent de nous.

De trois à cinq nous quêtons sur le grand escalier du salon avec Mme de Cambourg.

Je suis charmante en robe Louis XV rose pâle et velours mousse. Pas mal de monde, la Reine Isabelle très gracieuse pour moi; puis des amis Gavini, Odette et la sympathique Cartwright qui donne vingt francs. Du reste tous les passants me donnent, quand je ne suis pas tourmentée et humiliée j'ai quelque chose de gentil qui atttire le monde. Trois jeunes artistes qui avaient passé assez vite se sont consultés après m'avoir regardée et l'un d'eux est revenu pour me donner quarante sous. C'est assez gentil car on fait les quêteuses et on court à toutes jambes obligé qu'on est de passer entre leurs rangs.