Mardi, 9 juin 1874
# Mardi, 9 juin 1874
Le diacre est déjà ici, il s'est imposé pour aller entendre la messe. Ce misérable prêtre est enivré de lui-même; il prend des airs d'enfant gâté, de tout ce qu'il y a de plus adorable au monde et avec cela est un des êtres les plus fastidieux que j'ai jamais rencontré. Il s'oublie même souvent, par exemple, il envoie Paul lui acheter des cigarettes. J'ai rougi dix fois de colère.
Ce diacre miser, avec des bottes 'goudronnées* ! Nous sommes toutes prêtes à une heure et demie.
Je crois (robe blanche Worth, cheveux flottants, pas mal, je crois) que pour la première fois je n'étais pas en retard. Le public est fort mélangé, trop mélangé; je ne vis pas une face chrétienne exceptée la Vigier qui est peinte à ravir.
Que dirai-je pauvre petite ignorante, de la messe de requiem ? Je ne me sens pas de force pour critiquer. C'est très beau, extrêmement beau, admirable, mais cela aurait pu être encore plus beau. Je voudrais l'entendre encore plusieurs fois, une pièce de musique aussi sérieuse, ne se comprend et ne se juge pas en une fois. Il y a plusieurs passages qui m'échappèrent et que je retrouve seulement maintenant.
Verdi en entrant fut accueilli par des applaudissements frénétiques. Cela m'excite comme les courses (pas une face passable dans le chœur). J'écoutais attentivement la Woldmann et la Stoltz car on sait que jadis j'eus quelques prétentions. Depuis presque un an ma voix fait des voyages comme "Les trois mousquetaires", mais je crois qu'en ce moment elle commence à revenir. La Stoltz fait de trop grands efforts pour chanter, elle a l'air de labourer la terre et non de chanter.
C'est une mémorable matinée, peut-être pourrai-je me vanter un jour d'avoir entendu la première fois à Paris chanter cette messe de Verdi. Il faisait une chaleur excessive et aussitôt rentrées nous nous spogliamo. Un télégramme. Qu'est-ce ? Mille francs qu'envoie ma tante, c'est tout de même quelque chose quand on n'a pas trop "Requiem... requiem... Requiem eterno" !! Maman regardait par la fenêtre puis se tournant: "Si nous allions au Bois". J'allais le proposer.
Nous y allons donc. Je suis jolie en ce moment, je mets la robe de mousseline blanche à maman, elle me va bien, en voiture la longueur ne paraît pas, mon chapeau paille, cheveux demi retroussés, quelque boucles courtes sur la nuque (naturelles). Je suis contente de ma personne, très contente à ma tante.
Mais au Bois je me conduis comme une sotte, aussitôt arrivées à la hauteur du poste des chasseurs à pied, le diable me pousse, je me tourne, j'aperçois Fedus ou seulement son chapeau gris, et je commence à rougir plus de colère, que je rougis que d'autre chose. Pour ne pas voir cette face je tourne les yeux de côté:
- Tu vois, maman, voilà que je rougis, quelle horreur.
- Oui encore et comment, et il te regarde en même temps.
C'est exaspérant ! Aussi je me promets une revanche à la prochaine promenade. Nous rencontrons la princesse Souvoroff,