Bashkirtseff

Vendredi, 10 avril 1874

Orig

# Vendredi, 10 avril 1874

Pourquoi lorsqu'on veut regarder quelqu'un on est porté à regarder les yeux ? [Rayé: et tout] Je ne peux pas juger d'une personne avant d'avoir vu ses yeux, et je crois qu'on aime par les yeux, ce sont les yeux qui plaisent, qui attachent. C'est par les yeux qu'on se parle, c'est en se rencontrant des yeux qu'on se sent ému. Lorsqu'on se regarde sans se rencontrer des yeux c'est comme si on regardait une maison ou un arbre mais avec les yeux c'est autre chose, c'est par eux qu'on voit ce qu'on sent, c'est dans les yeux qu'on lit les pensées des hommes... ce sont les yeux qui animent la figure, ce sont eux qui expriment la joie ou le chagrin, tout ce qu'on sent enfin. Les yeux, pour la figure, sont comme le soleil pour la terre.

C'est dans les yeux... mais on peut le dire plus simplement, "les yeux sont le miroir de l'âme".

Encore aujourd'hui trois fois à l'église et à une enchère où on vendait trop cher. Anna y était derrière une porte, lorsqu'il fallut inscrire son nom j'attendais ce qu'elle allait dire; je crois que je la regardais, Dina était à côté de moi; je crois qu'elle comprit mon regard, car elle dit: Mme Blumel. Je ne sais pas pourquoi cela m'a touchée ★et mon cœur se serra*.

★A la plachtchanitsa* il y avait tant de monde que nous pûmes à peine passer.

Le soir ★aux vêpres * avec des cierges, il faisait si chaud que je ne respirais pas. Je n'avais pas de chaise, cette chaleur m'étouffait. L'homme qui nage était avec sa femme et sa fille, sa femme est de notre religion, lui je ne sais pas, il vient tous les jours à l'église depuis mercredi.

A la vente maman a parlé avec Tutcheff. Georges lui a présenté Paul.

Le soir on me demandait si j'épouserais Walzeff, oui, et Lambertye, oui, j'ai dit plus, j'ai dit que tout le monde est égal pour moi et si un homme est très riche et peut me donner une bonne position dans la meilleure société je le prendrais sans hésiter. Et c'est vrai, un seul me plaît et le reste est égal. Si je ne puis avoir ce seul, tous les autres conformes à mes conditions me conviennent.

Souvent je pense que c'est affreux d'avoir pour mari un homme qu'on n'aime pas, mais le reste du temps je crois que c'est possible. Si je ne pourrais pas me marier avec celui que j'aimerai je tâcherai de prendre un vieillard. La femme d'un vieillard est si courtisée. Mais il faut aussi le choisir, quelquefois un vieux est pire qu'un jeune. Walzeff a l'air et est un bon sac; aussi il déteste et craint les femmes.