Bashkirtseff

Dimanche, 7 décembre 1873

OrigCZ

# Dimanche, 7 décembre 1873

Dans trois jours.

Trois jours ! pour moi un instant, pour eux un siècle.

Je vais avec Hitchcock à l'église anglaise. Je suis fraîche car je me suis levée à huit heures et demie, j'ai étudié, déjeuné et ensuite déjà l'église (robe bleue et chapeau, bien). Il n'y avait personne d'intéressant, tous poussière, vraiment les Anglaises ne sont supportables que de première qualité, le reste sont des détestations terribles. M. Howard avec Lise et Willy y étaient, nous nous sommes vus. Nous devons dîner chez eux aujourd'hui. Je me mets à préparer un thème italien lorsque maman m'appelle pour sortir. Grand-papa vient aussi, il est si irrité depuis quelques jours, presque insupportable, et encore il imagina de manger une mandarine en pleine promenade, j'aurais voulu me cacher sous la voiture. Il rage comme un fou contre moi sans que je dise un mot offensant, et il rentre. Et en voiture, nous voyons le prince et la princesse Festititz, la dame qui rit.

J'ai poussé une exclamation et je suis très contente de les revoir. Encore des amis que je ne connais pas.

Un vent terrible, je change de robe (brune, chapeau noir, bien). J'ai changé un peu ma coiffure pour le mieux et je suis contente. Nous allons plusieurs fois à la promenade, moi, Bête et Dina. Que Nice est misérable ! Personne, pas une face sur laquelle on puisse reposer les yeux, pas une voiture de jeune homme. Le 15 janvier commencent les courses et les tirs. Malheureuse existence, végétation triste. Vers six heures nous allons chez les Howard. Nous dînons comme d'habitude chez eux. On monte ensuite comme d'habitude, j'ai taquiné Lise avec Tibet, elle devient agitée et rieuse. J'ai bien deviné.

Hélène est une adorable fille et elle m'adore. Nous avons laissé tous au salon bleu et nous marchions dans le grand. Elle m'a demandé si j'aimais le romantique. J'ai répondu que j'aime ce qui est romantique bien, mais je déteste le romantique bête. Une réponse assez stupide, ma foi.

(En voiture nous avons parlé avec maman des sales et des propres. J'ai dit que les Anglais sont propres. Alors Dina :

- Mais Hamilton comme il est sale toujours.

- Non, il n'est pas sale, mais propre.

Maman: - Qui ?

Moi: - Hamilton, duc.

Maman : -Il est toujours sale.

- Mais non, c'est seulement par-dessus son costume, mais il est propre, sa chemise est propre.

Dina : Bon, je n'ai pas été au-dedans et je ne sais pas, mais dehors il est toujours sale.

J'ai parlé très calmement, sans rougir, seulement je ne pus empêcher un léger sourire. (Un sentiment doux et mélancoliquement joyeux s'empare de moi lorsque je parle de lui.)

Nous nous sommes embrassées mille fois peut-être ce soir. Véritable amitié ! Ah, les petites filles. Je suis tout à fait libre avec elles et surtout avec Hélène. Je trouve un véritable plaisir de la voir. C'est rare chez moi. J'ai même rarement le désir de la voir. Je voulais qu'elle me racontât la "Vie dépravée". Mme Howard est venue rester quelque temps avec nous. Je m'en vais à regret, c'est encore rare chez moi. Je me promenais dans le salon avec Hélène et je pensais à lui.

Paul était avec nous. Je crois que Tibet sera fâché et Paul chéfi. Tout cela m'est bien indifférent.

Ils nous ont montré les robes. Pour la mienne j'ai écrit à Worth.

Ah ! que je m'ennuie. Dire qu'il faudra demain se lever, manger, étudier, sortir, encore étudier, encore sortir et me coucher pour me lever encore, sans espoir, sans but...

"Je ne suis rien etc ". Pourvu que le bon Dieu ne me punisse pas pour mes murmures au milieu de l'abondance et du bonheur.

J'invente des malheurs, je les fabrique.