Bashkirtseff

Jeudi, 9 octobre 1873

OrigCZ

# Jeudi, 9 octobre 1873

Je devais étudier mon piano mais maman s'est endormie à côté du salon, je devais faire autre chose, c'est-à-dire rien, j'avoue, j'étais heureuse du prétexte.

J'allai tirer, Walitsky, Paul et Dina jouent au croquet, dès que j'eus tiré un coup Paul et Walitsky vinrent me rejoindre. Trifon charge le fusil. J'ai tiré cinq fois et j'ai manqué une seule fois, mais le but était trop petit. Ce fusil est un peu lourd pour moi et je ne puis bien l'appuyer contre l'épaule. Je vais m'en faire venir un de Paris. Nous avons parié, Walitsky et Paul parièrent contre moi, Walitsky trente francs, Paul dix francs à trente pas, la moitié d'une carte de visite. J'ai gagné, mais Paul prit sa revanche, Walitsky aussi regagna deux francs en tirant en l'air dans une orange que Paul avait lancée. Maintenant un pari intéressant, entre Walitsky et Paul, un fusil. Paul devait tirer dans la casquette d'Antonio que Walitsky lancerait. C'était très curieux, et mon cœur battait plus fort. Paul gagne et de joie s'en va courant comme un fou la casquette d'Antonio en main. Nous voulûmes le taquiner et lorsqu'il revint Walitsky et moi protestons contre lui, il n'a pas gagné, il a tiré contre les règles, il a tiré les yeux fermés. Le pauvre garçon était ébahi et se mit à prouver qu'il a bien gagné. Je ne pouvais le laisser ainsi et je lui dis que nous plaisantions. J'ai joué au croquet avec Paul et Walitsky, je reprends un peu, j'ai gagné toutes les fois mais Paul disait qu'il le faisait exprès. Alors nous avons joué deux parties sérieuses où il devait employer tout son savoir et j'ai gagné deux fois. Juste lorsque je finissais arrive ce détestable Italien. Les pluies commencent. Ce matin il a plu mais l'après-midi est splendide. A quatre heures je m'habille pour sortir.

Nous allons droit à la gare porter un manteau à maman, il fait froid et je suis obligée de mettre la robe verte et le chapeau bleu. Médecin n'a pas de jolis chapeaux, j'attendrai Maillard.

Gioia est à Monaco et ma promenade est sans but, il n'y a presque personne, la musique joue au jardin. Papa est capricieux, nous rentrons. Je suis un peu folle ce soir. Khalkionoff dîne chez nous. Je fais mille bêtises. Nous nous amusons à nous regarder sans rire. Tous tour à tour avec Walitsky et Dina sont drôles, elle est si bête qu'elle rit tout le temps, et chaque fois promet d'être sérieuse. Toute la table riait. Pour augmenter le bruit je me mis à lire "L'Echo" tout haut.

Je voulais regarder Walitsky sans rire mais chaque fois la princesse disait une bêtise qui me faisait éclater. Au plus beau moment elle s'écriait: Hamilton ou Gioia, ou duke ! ou bien :

- Il est devenu borgne ou boiteux ! tordu des jambes ou des yeux - des jambes. Oui, c'est vrai il est boiteux.

La princesse ne cessait de rire. Je recommence avec Walitsky, alors elle demande:

- Quelle moitié boiteuse ?

Certes je ne pouvais pas rester sérieuse.

On parlait des Howard, Galignani's: Oui, il est ainsi, il raconte le diable sait quoi, il dit qu'il est un ami d'Hamilton, il ment. Pourquoi ment-il ? Il est toujours lié à de tels gens, ses premiers amis, des petits ânes, on ne le reçoit nulle part dit Dina.

Ah ! Dina, si seulement il voulait se montrer dans la société comme tous, il devrait y aller. Mais Collignon disait ces absurdités, parce qu'elle lui faisait des grimaces, mais il n'y a pas prêté attention.

C'est un dîner de fous ce soir !

Nous avons crié et ri comme des bienheureux. Le duc de Hamilton était pour quelque chose, lui aussi.

Dina, Paul, Walitsky et Khalkionoff se mettent aux rois, je vais étudier. En fermant la fenêtre, en me couchant, je vis toute la clique au jardin criant et sautant.

"Jours fortunés,

De notre enfance".

J'étais assez tranquille mais ce nom maudit, chéri, de Hamilton me bouleverse. Je bouillais en m'en allant et mon cœur sautait. Et dire que c'est pour un animal bipède ! Un roux ! un homme vain et fou !

Et tout de même je l'aime.

Hier je ne pouvais me le présenter, je ne pouvais penser à lui, je ne savais pas si je l'aimais. Cette éclipse est passée aujourd'hui et je sens de nouveau.

Oh ! ingrat animal, je ne veux pas que tu saches que je t'aime, non Eh bien non, sache-le ! Je t'aime, je n'en suis pas honteuse, est-ce que l'amour peut humilier. Je m'incline devant lui et je dépose mon orgueil à ses pieds !

Animal !