Book 00 - Retrospective Preface (May 1884)
# Book 00 - Retrospective Preface (May 1884) C'est là que l'on a attrapé mon oncle Romanoff, très riche célibataire de quarante ans. [Rayé: Georges a proposé de le faire, ce Monsieur, il avait déjà essayé d'avoir la fortune d'une tante, la sœur de] grand- papa, Mlle Vassilissa Babanine. Mais après bien des tripotages que j'ignore il n'en a eu que douze ou quinze mille roubles. Cette vieille fille est venue mourir dans une petite chambre chez mon grand-père. La tante Vassilissa: belle, riche, jeune, élégante, charmante et spirituelle. Elle ne s'est pas mariée. Devenue maniaque et un peu ridicule, elle a adopté une petite orpheline, Mlle Nadine Martinoff qui, une fois âgée de quatorze ans, s'est empressée de lâcher sa protectrice pour venir habiter chez grand-papa à Tcherniakovka où il y avait plus de distractions. En plus, comme la petite avait une vingtaine de mille de roubles, mon oncle Alexandre, très pratique (elle aussi), l'endoctrinait. Ils se sont mariés dès qu'elle a eu quinze ans et demi. Ça a fait un couple excessivement rapace, cupide et heureux. Grand-papa en a été furieux, mais presque tous ses fils se sont mariés sans le lui dire.
En somme il s'en souciait peu, très égoïste et vivant un peu à la pose. Il se promenait à la campagane habillé comme un paysan français, une blouse de toile grise, pantalon de velours, panama sur la tête et un énorme diamant à l'index. Et il prononçait les mots blouse et panama en russe avec une affectation de gallicisme. Nature marquée, terrible et nul. Ayant pu être quelqu'un et n'étant rien, écrivant des vers qu'il ne publiait même pas et faisant du libéralisme. En somme...
Mais je parlais de Vassilissa. Cette femme élégante et supérieure est morte il y a deux ou trois ans abandonnée de tous. Je me rappelle lorsqu'elle venait en visite chez grand- papa, on endimanchait la maison. Très gâtée par son père elle avait jadis dominé tout le monde et son frère lui gardait encore du respect et de l'admiration. Tout le temps qu'elle restait la terrasse était garnie de plantes et un air de fête régnait dans la maison. Une fois, elle vint comme de coutume, quelques semaines plus tard, on enleva les plantes de la terrasse, elle resta toujours et resta pour toujours, toujours vénérée de moins en moins jusqu'au départ de grand-papa, après quoi sa fille adoptive et Alexandre la reléguèrent dans une misérable chambre dans un vieux pavillon où elle est morte.
Donc c'est à Akhtyrka où tout le monde s'installe, sauf grand-papa, que l'on trouva M. Romanoff. Il avait une sœur qu'il ne voyait plus depuis vingt ans et qui était plus riche que lui encore. Donc on se mit à l'entortiller, c'est maman qui fut mise en avant, très coquette. Il en devint amoureux. On alla à Kharkoff, lui aussi absolument étranger aux usages du monde et poussé par Georges, on a mené une existence inconcevable. Tous les soirs Romanoff envoyait [des billets pour] des loges où nous nous pavanions et l'on apportait à chaque entracte des plateaux chargés de fruits et de bonbons. Georges s'amouracha d'une actrice et la fit recevoir à la maison. On alla en Crimée à Yalta, aux bains de mer. Ici il faut parler d'une rencontre que fit maman.