%%2025-12-07T16:00:00 LAN: "verstes" - Russian unit of distance (approx. 1.07 km). Keep as "verst/versta" in translation, do not convert to kilometers - preserves period/geographic flavor%%
"L'Empereur devait traverser une station à quelques verstes de chez nous, maman y alla avec moi. L'Empereur voyant cette jolie femme lui parla pendant un quart d'heure s'amusant de cette très enthousiaste sujette, il lui fit promettre qu'il la verrait à Yalta. Nous y allâmes et Romanoff aussi. Maman était très courtisée et l'Empereur lui adressa la parole trois ou quatre fois dans les endroits publics, mais bientôt il en eut assez car elle était tout le temps sur son passage. On causait beaucoup du Romanoff, revenus à Odessa nous avons habité le même hôtel. Et un beau matin chacun se dit qu'il fallait en finir et que ma tante ne trouverait jamais un aussi beau parti. Il fallait seulement le consentement du monsieur. Mais c'était une grosse bête habitué à nous tous, et pas le moins du monde amant de maman, quoiqu'on ait dit, ce fut facile. Moi-même j'y déployais mon éloquence de neuf ans. On les maria et l'on revint à Tcherniakovka. [Cinq lignes cancellées]
"Trois jours après notre arrivée grand-maman mourait subitement. Et Romanoff devint malade avec des accès de délire et de folie. [Deux lignes cancellées]. On le soigna très bien.
Puis libres avec cette grande fortune, on partit pour l'étranger. Le rêve si longtemps caressé par Georges, maman aussi. Maman, je le crois fermement, était très sage, c'est une nature qui s'éparpillait en inconséquences et n'allait jamais jusqu'au... fait.
A Vienne, on resta un mois, se grisant de nouveautés, de beaux magasins, de théâtres. Georges y prit une fille publique qu'il amena avec lui. Romanoff allait mieux et plus fou du tout. Grand-papa était avec nous, il allait lui aussi goûter de cette Europe qu'il connaissait par les livres."
On arriva à Baden-Baden en 1870 au mois de juin, en pleine saison, en plein luxe, en plein Paris. Voici combien nous étions. Grand-papa, maman, M. et Mme Romanoff, Dina, Paul et moi. Et cet angélique et incomparable Lucien Walitsky. Lucien Walitsky était polonais, russe sans patriotisme exagéré, une bonne nature, très câlin, qui se dépensait en charges d'atelier, à Akhtyrka où il était médecin du district. Il avait été à l'université avec les frères de maman et fut de tous temps de la maison, venant trois ou quatre fois par an à la campagne. C'était chaque fois une joie folle pour tout le monde. Il avait un culte fraternel, admirable et saint pour maman qui le traitait en enfant chéri.
Au moment du départ pour l'étranger, il fallait un médecin pour Romanoff et même pour maman qui aimait à se faire malade et qui l'était quelquefois en vérité. On emmena Walitsky en lui promettant des appointements selon l'usage en pareil cas. Je crois bien qu'il n'en reçut jamais presque rien, trop délicat pour demander et se contentant de quelques sous par ci par là pour payer son tailleur chez lequel il devait quelques centaines de francs en mourant. Cet homme admirable fut toujours pour chacun de nous un second soi-même.